Pour une mise à jour du libéralisme économique

                                      

Conjoncture et décisions                               Bernard Biedermann                           http://www.Theoreco.com 

Pour une mise à jour du libéralisme économique                                                                     Août 2024

                  

                                                                            Pour une mise à jour du libéralisme économique

 

La plupart des économistes font bien la distinction entre les théories économiques et les recommandations en matière de politiques économiques. L’intérêt premier des théories économiques est de permettre une ou plusieurs explications des faits, des évènements, des mécanismes, des comportements, et des évolutions des réalités économiques. Des analyses on peut déduire des recommandations sur les variables pour améliorer le retour à l’équilibre, à la croissance, à la stabilité…. Les recommandations doivent bien entendu être conformes aux analyses mais leurs choix dépendent également de l’orientation politique du ministre des finances qui se positionne sur l’axe libéralisme-étatisme et sur une vision plus politique pour les délais et l’intensité du traitement.  

Depuis plusieurs années, les idées libérales économiques perdent de leur capacité d’analyse et donc de leurs possibilités de recommandations. Les libéraux ont bien pris conscience de ces dégradations et des baisses de leur niveau de popularité. Parmi les causes, il y a entre-autres une continuité historique de l’adhésion aux théories néoclassiques qui se sont considérablement éloignées des réalités économiques contemporaines. Se pose alors la question de savoir si l’on pourrait s’orienter vers d’autres outils théoriques. Ce qui n’est pas vraiment une question facile car les chercheurs travaillent essentiellement sur des études empiriques. Jean-Luc Gaffard m’a confirmé que la recherche théorique n’intéressait plus grand monde.

                                                                        Un peu de méthode

Habituellement, les économistes motivés par l’intention scientifique, utilisent, pour expliquer les réalités économiques, des hypothèses, des relations logiques entres variables, et des lois, qu’ils auront puisées dans des ouvrages théoriques. C’est la méthode de la boîte à outils. Dans une deuxième étape, ils testent, vérifient (ou pas) les hypothèses théoriques en utilisant des modèles économétriques qui établissent des relations chiffrées à partir des statistiques.

Les explications des réalités ne sont pas forcément pertinentes ; Pour plusieurs raisons : l’absence d’élément théorique, une forte complexité de la réalité, des statistiques incomplètes, erronées, ou d’une définition ne correspondant pas assez à celle des variables théoriques.

De nos jours, un grand nombre d’études empiriques sont publiées par des instituts et les centres de recherche. Elles concernent plusieurs domaines, aussi bien la macroéconomie, la microéconomie et les sciences et techniques et de gestion. Elles s’avèrent très utiles pour le management des entreprises et bien sûr pour les politiques économiques.

Dans la mesure où la recherche théorique pure se ralentie, ce qui est regrettable dans la mesure où les économies contemporaines subissent des changements importants, le fossé entre les théories et les réalités s’élargit.

Cet élargissement du fossé s’expliquerait par des évolutions, des comportements des entreprises, de leurs stratégies, des comportements des consommateurs, des systèmes de productions, de vente, … Le numérique, la complexité croissante des produits et services et la mondialisation y contribuent très certainement.

Concernant la terminologie il convient de distinguer le marché théorique qui explique le mécanisme de l’offre et de la demande, du marché perçu par l’entreprise qui comprend des valeurs constatées ou anticipées concernant les quantités vendues, leurs prix, les chiffres d’affaires, les profils d’acheteurs, la composante sociale, etc.

Dans cet article nous proposons donc de faire le point sur l’écart croissant entre les théories néoclassiques et le principe de réalité.

 

                                                          Modèles théoriques néoclassiques

                              

Les modèles théoriques néoclassiques ont été formulés en langage mathématique, ce qui les dotait d’une cohérence interne remarquable et leur donnait une très bonne image auprès des économistes guidés par l’intention scientifique. Les formules mathématiques intègrent les offreurs et les demandeurs sans que ce soit des agrégats comme la macroéconomie agrégative ce qui se traduit par une bonne définition de l’équilibre économique. Il y a également un avantage pédagogique du fait que les mécanismes se basent sur les fonctionnements basiques de l’entreprise et du consommateur. La logique des mécanismes permettant d’expliquer des déséquilibres et de faire des recommandations est directement fondée sur les hypothèses de base.

                                                  Les principales hypothèses sont les suivantes :

  • Perfection de l’information sur tous les marchés
  • Atomicité de l’offre et de la demande sur tous les marchés
  • Rapidité des flux des entrées et des sorties
  • Absence de monopoles, d’oligopoles
  • Mécanismes d’offre et demande de rééquilibre sur le court terme

–     Maximisation du profit et de l’utilité

Dans ces conditions, c’est le marché, lui tout seul, qui détermine les prix et les quantités en faisant l’objet de transactions réelles alors que les courbes des offres et des demandes sont des concepts abstraits que personne n’a jamais rencontrés et qui contribuent au bon fonctionnement de la main invisible.

La théorie décrit avec rigueur les mécanismes d’équilibres et l’économiste qui veut expliquer des déséquilibres dans la réalité construit des mécanismes explicatifs dont les fonctionnements sont liés à des hypothèses non respectées.

 

                                       Quelques écarts par rapport à la réalité

 

Pour l’entreprise, l’objectif de la recherche d’informations est de réduire le niveau d’incertitude qui concernent les informations sur les produits, leurs marchés (concurrences existantes, concurrences potentielle). Le niveau d’information permet normalement de réduire les marges d’erreurs.

                        Quelques raisons pour lesquelles les flux d’informations manquent d’efficacité :

  • L’immensité du nombre de produits et services
  • La complexité des définitions et des positionnements des produits et services
  • La complexité des contrats d’achat et de vente
  • Le fait que l’on soit plus souvent dans le MT ou le LT
  • La fréquence des innovations et des modifications des fonctionnalités en termes de caractéristiques, d’avantages et d’atouts
  • La mondialisation en tant que des produits sont proposés sur des marchés dont les cultures et les environnements sont très différents
  • Des irrégularités juridiques comme pour les brevets
  • Des modifications surprenantes des politiques gouvernementales concernant les taxes
  • Les environnements économiques internationaux (niveaux d’inflation, évolution de la demande, des taux de changes, des taux bancaires, …)
  • Les difficultés en matière de veille technologiques (coûts et distances)
  • La complexité des délais et de la logistique dans la structure producteurs-acheteurs- distributeurs-vendeurs-acheteurs
  • Les changements des stratégies de marketing très confidentielles
  • L’isotropie qui fait que l’entreprise n’est pas capable de dire si une information est pertinente ou pas

                                  Quelques raisons pour lesquelles les flux d’informations sont efficaces :

  • Le déploiement de l’Internet
  • Des revues comme 50 millions de consommateur au moment de leur diffusion
  • Disponibilité en temps réel

 

                                               Atomicité et rapidité des entrées et sorties 

On a trop tendance à raisonner sur le nombre d’entreprises alors que dans la réalité, la concurrence fonctionne au niveau des produits et services. De plus lorsque l’on parle des offreurs, on fait référence à ceux qui sont actifs sur le marché alors que les projets des produits avaient été lancés dans le passé bien souvent sur le long terme comme par exemple beaucoup de produits numériques dont les conceptions techniques avaient déjà fait l’objet de recherche dans le cadre d’autres secteurs   comme l’armée. Ces scénarios expliquent en partie les positions de monopoles de produits et services dont les conceptions d’ordre technique avaient été particulièrement longues et complexes. L’hypothèse d’atomicité, dans le fonctionnement de l’offre et la demande dans le court terme, doit donc être prise avec recul pour les produits dont la conception, la fabrication et les caractéristiques sont particulièrement sophistiquées. Il y a bien sûr d’autres facteurs qui jouent dans le même sens comme l’innovation avec surprise, les visions d’ordre culturel, les normes juridiques, ….  

 

                                       Les comportements des entreprises contemporaines 

L’hypothèse de comportement de maximisation du profit dans l’entreprise est bien sûr toujours d’actualité mais pour se rapprocher des réalités elle doit être associée à bien d’autres comportements. Il faut d’abord assimiler le fait que selon le secteur d’activité, c’est-à-dire le type de produit, les fonctionnements des marchés en tant qu’ils conduisent à la détermination d’un prix et donc du profit diffèrent énormément. Citons par exemple les marchés des produits agricoles, celui des matières premières, celui de la bourse et à l’opposé, des produits et services très sophistiqués comme dans le numérique, ou des produits d’investissement ou de logistique destinés à la nouvelle industrie. Il convient d’avoir l’approche « du curseur » : la grande distribution se situant au milieu avec des acheteurs professionnels en forte négociation avec des vendeurs professionnels qui ne sont pas en face du consommateur final sensé maximiser son utilité. On comprend bien que les contraintes des négociateurs relèvent de beaucoup de variables (logistique, finances, images, délais, stratégies de ventes, anticipations, etc) et puis un blocage politique du prix du sucre blanc standard se traduira par des augmentations des autres sucres dans le but de maintenir le taux de marge dans la gamme. Il y a donc des entreprises dont le mécanisme de marché « ressemble » à celui de la loi de l’offre et de la demande et d’autres qui en sont très éloignés. Pour expliquer ce positionnement, nous proposons de poser la question : A quels endroits, se situent (physiquement, géographiquement) les mécanismes de détermination des prix ? La réponse est simple pour les produits dont le marché ressemble à la loi de l’offre et de la demande, fruits et légumes dans d’immenses locaux, la bourse dans un logiciel mais pour les produits plus sophistiqués, le marché est simulé dans « le cerveau » des marketeurs qui, anticipent, modélisent et prennent des décisions concernant les variables :  stratégies de prix comprenant le fait que le niveau de prix devient un avantage du produit, quantités produites, délais, positionnement en gamme, logistique, durée de vie, type de distribution, argumentaires, etc. Les méthodes utilisées ressemblent un peu ou moyennement ou beaucoup ou pas du tout au fonctionnement classique de la rencontre entre l’offre et la demande. Lorsqu’il s’agit d’une innovation ayant créé un nouveau produit dont le besoin n’existait pas avant son lancement, la courbe de demande n’existait pas non plus. Peut-on alors parler de logique du marché ? Lorsqu’il y a incertitude, beaucoup d’entreprise adhèrent à la solution du prix de convention comme par exemple dans les politiques de recrutement.

 (Concernant les stratégies de marketing lire l’article : Relocalisation du marché de l’offre et la demande dans les directions de marketing : https://theoreco.com/entreprise-microeconomie-marketing/relocalisation-du-marche-de-loffre-et-la-demande-dans-les-directions-de-marketing-914.html).

Le keynésianisme, a lui aussi été éloigné du fonctionnement des réalités par des intentions politiques pour justifier l’accroissement du poids de l’état ou des augmentations salariales. Parmi les hypothèses déformées il y a entre autres , le principe de la demande effective qui aurait dû être traduit en français par « demande efficace », le fait que la théorie générale se préoccupait du moyen terme et non pas du long terme, le principe des agrégats difficiles à intégrés lorsque les répartitions statistiques ne sont pas homogènes ( courbe de Gauss large) comme c’est le cas actuellement pour les niveaux de productivités dans les entreprises et l’évolution des pouvoirs d’achats selon le niveau de revenu. L’économiste canadien Gilles Dostaler, qui s’était intéressé à la personnalité de Keynes, m’avait dit : « Si Keynes revenait en France, il serait libéral ! »

Dans de telles conditions, il faudrait réviser la théorie si l’on souhaite expliquer avec rigueur les tendances, les déséquilibres, dans un contexte qui se caractérise par beaucoup de complexité, du numérique, de l’internet, de la mondialisation, de l’innovation avec ses effets de surprises.

 

                                  Analogie entre l’économie et le trafic sur autoroute ?

                                            (Comparaison n’est pas raison !)

Dans la mesure où la modélisation mathématique des théories économiques fondées sur le fonctionnement de l’offre et de la demande sont contestables pour beaucoup de secteurs, on devrait imaginer d’autres modèles. On pourrait s’inspirer de modèles utilisés dans d’autres domaines. A titre d’exemple nous suggérons les modèles concernant le trafic sur autoroute (1) ; pourraient-ils aider à construire des nouveaux modèles économiques ?

Les entreprises sont représentées par les véhicules. Il y en a des gros, des petits, des rapides, des lents, des récents, des anciens, des manuels, des automatiques, etc… Ceux qui se ressemblent sont en concurrence. Les chauffeurs peuvent être dynamiques ou calme, ambitieux et imaginatifs ou conservateurs, uniques ou nombreux, respectueux du code la route ou tricheurs, adeptes de la sécurité ou preneurs de risques, plutôt expérimentés ou débutants, attentifs au trafic ou pas, … 

Les entreprises ont pour objectifs de répondre aux besoins de leur part de marché qu’elles ont estimées ; on l’associe à une des voies d’autoroute. Leur chiffre d’affaires est alors comparable aux nombres de kilomètres parcourus dans une période T. Une conduite rapide est plus difficile et plus risquée mais est nécessaire en cas d’objectifs élevés.

Comme pour le parc des entreprises il y a des fluctuations par les entrées et les sorties tout au long de l’autoroute car il y a des créations, des faillites, des investissements étrangers, et des arrêts en station ou garage pour une réparation ou pour une amélioration c’est à, dire un investissement …

Que peut observer un piéton sur le bord de l’autoroute ? De nuit, (ou, vacances, grèves, récessions), il y a peu de véhicules, ils sont donc éloignés les uns des autres et peuvent rouler vite. En d’autres circonstances il y a beaucoup de trafic et la vitesse de tous les véhicules est en moyenne plus faible.

Les véhicules qui représentent des entreprises en concurrence sont proches les unes des autres pour occuper les mêmes marchés. Et si leur nombre augmente fortement par les entrées de l’autoroute, il y a ralentissement, c’est-à-dire beaucoup d’entreprises produisent moins. Et puis il peut y avoir un bouchon, c’est la récession…Et souvent les bouchons sont imprévisibles à cause d’un effet de surprise. Ils se déclenchent plus rapidement qu’ils se résorbent, comme dans les crises économiques, où la reprise est en générale plus longue que l’entrée en récession parce que les distances entre les voitures sont faibles. Les modèles de trafic autoroutier établissent des prévisions de vitesses, de ralentissements, de bouchons avec comme pour les modèles économiques des marges d’erreurs et des hypothèses de « toutes choses égales par ailleurs »

Mais l’autoroute peut être améliorée voire élargie avec plus de voies ; c’est l’augmentation de la productivité et des changements structurels. Par ailleurs les limitations de vitesses peuvent être comparées à des normes. Le trafic routier peut être planifié avec des limitations de vitesses temporaires et localisées comme une politique économique.

                                                                                                                  Bernard Biedermann

                                                                                                                  Conjoncture et décisions

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