Conjoncture et décisions Bernard Biedermann http://www.Theoreco.com
Augmentation du SMIC, est-ce possible ? Décembre 2023
- Bernard Biedermann
Augmentation du SMIC, est-ce possible ?
En fin d’année 2023, le contexte macroéconomique de l’économie française est plutôt positif en termes de PIB, de niveau de chômage et de taux de marge des entreprises. Les prévisions pour 2024 sont moins favorables (PIB réel à 0.9 %, Banque de France), chômage (baisse régulière de 2014 à 2023 de 10.5 % à 7.3 %) puis 7,6 % en 2024 (INSEE). En revanche, l’inflation devrait continuer à se ralentir. On pourrait anticiper des hausses du SMIC avec pour objectif de compenser les fortes hausses de prix des produits de bases qui ont été supérieures aux indices globaux.
L’augmentation du chômage qui commence fin 2023 (INSEE), notamment parce que des entreprises vont se séparer des sureffectifs résultant des aides de l’état suite au COVID devrait affaiblir les revendications salariales. Dans la grande distribution on anticipe déjà une baisse de la demande en produisant ses promotions importantes.
L’inflation des dernières années concernait surtout les prix alimentaires de base, l’énergie et un peu l’immobilier locatif, c’est-à-dire, des dépenses qui représentent la quasi-totalité des bas revenus (« la moitié des salariés gagne moins de 2091 € nets par mois en Equivalent Temps Plein. Un salarié sur 10 gagne moins de 1436 € » en 2022 selon l’Insee).
Les dernières augmentations du SMIC n’ont pas vraiment compensé les hausses des prix de ces consommations de base. Pour maintenir le pouvoir d’achat des bas salaires le SMIC aurait dû être plus augmenté. Décider d’une nouvelle augmentation serait une action sociale cohérente mais difficile car certaines variables économiques subissent des tendances qui s’y opposent.
Variables susceptibles de gêner des augmentations du SMIC
Nous suggérons quelques mécanismes qui ne sont pas globaux mais qui constituent une gêne importante lorsqu’ils coexistent en même temps dans un sous-ensemble d’entreprises qu’il est difficile d’identifier et nécessiterait des études empiriques difficile à réaliser. Nous retenons :
- L’augmentation de l’hétérogénéité des taux de marges, ce qui se traduit par un nombre d’entreprises avec des marges très faibles, bien que, au niveau macroéconomique les taux de marges sont satisfaisants en 2023. Une telle situation ne permettrait pas d’augmenter le SMIC à la même période pour toutes les entreprises.
- Des niveaux de productivité du travail faibles dans un grand nombre de PME en raison de leur retard d’investissement dans les TIC comme l’indique une étude récente de l’OFCE (1).
- L’impossibilité de pouvoir répercuter les hausses des prix de l’énergie sur les prix de vente notamment dans les secteurs très concurrencés au niveau international. A l’opposé, on a pu constater ces deux dernières années, que beaucoup d’entreprises, grâce à leur stratégie de marketing, ont eu la possibilité de répercuter les hausses de coûts.
- L’effet trappe à bas salaire : « Supposons que l’employeur désire augmenter de 100 euros NET un salarié payé au smic (dont le montant est actuellement de 1.747 euros bruts pour un plein temps sur la base de 35 heures hebdomadaires). Les calculs officiels montrent que le coût du travail se trouve alors augmenté de 482 euros » (Exemple choisi par François Lenglet)(2).
- « La Dares vient de publier son estimation du nombre de salariés concernés par la revalorisation du Smic au 1er janvier 2023 : 17,3% des salariés du secteur privé non agricole sont concernés. Si le graphique ne remonte qu’à 2012, les données indiquent que c’est la valeur la plus élevée depuis 30 ans », (Fabien Toutlemonde, INSEE).
Dans ces conditions, une politique étatiste globale pourrait engendrer une augmentation des faillites dans ce sous-ensemble des entreprises concernées par ces cinq variables, alors qu’une attitude libérale provoquerait des conflits car les niveaux de vie correspondant au SMIC diffèrent de manière importante d’une région à l’autre notamment à causes des grosses différences des prix de l’immobilier.
Les contraintes de l’immobilier
Pour les salariés au SMIC ou proche du SMIC, la mobilité du travail est fonction, des possibilités de déménager et des coûts de transport anticipés entre le lieu d’habitation et le lieu de travail qui représentent une part importante des dépenses mensuelles (70 % des déplacements sont réalisés en voiture individuelle). De ce point de vue la situation est plus difficile dans les grandes villes, dans leurs banlieues ainsi que dans les départements voisins. En région parisienne le marché locatif des studios et petits appartements est extrêmement tendu ; pour une annonce de location dans la presse, on compte plus d’une centaine de candidats en l’espace d’une journée. Cette situation est en partie due aux déséquilibres sur le marché de l’immobilier pour lesquels la politique du logement n’est pas vraiment efficaces.
A ce sujet, la hausse des taux d’intérêt a provoqué une chute de plus de 25 % des transactions immobilières de vente sans engendrer de baisses des prix des offres, et donc des prix des locations. Par ailleurs, les fluctuations des prix, des produits agricoles de base et de l’énergie sont très peu liées au niveau des taux d’intérêt. Une politique sectorielle basée sur des aides d’état serait difficile pour des raisons administratives et parce que la France doit réduire sa dette.
Plus généralement, au contexte économique que nous suggérons et qui pourrait faire l’objet d’études statistiques, s’ajoutent des tensions internationales de type protectionniste et logistique alors que beaucoup d’économistes tablent sur la réindustrialisation de l’économie française. Les prochaines décisions en matière de politique économique ne seront vraiment pas simples à choisir.
- https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2023/OFCEpbrief119.pdf
- Trappe à bas salaire, l’employeur doit payer jusqu’à 450 EUROS de plus pour augmenter un salarié au SMIC de 100 euros. Bertrand Nouel (IREF)
Bernard Biedermann