Une autre vision de l’économie : deux sphères, deux consciences
Chapitre du livre « Les patrons sont-ils des mous ? »
Question posée à J.M. Keynes
Bernard Biedermann
(Le Publieur 2003)
Le Quotidien de l’Economie les Echos a publié en l’an 2000 une très intéressante série d’articles portant sur « l’art de la gestion des risques » écrits par des spécialistes de toutes origines professionnelles, dirigeants, économistes, ingénieurs, consultants et chercheurs, tous motivés par la recherche de solutions qui minimisent les effets des risques qu’encourent les entreprises, qu’ils soient, financiers, opérationnels, commerciaux, juridiques, stratégiques, d’espionnage, environnementaux, personnels ou médicaux. Ces articles ont été formulés sous une approche souvent théorique utilisant les outils mathématiques mais comportant toujours des exemples concrets, le but étant de faire un tour d’horizon en matière de management du risque. Le terme de risque s’appliquant aux effets négatifs d’évènements extérieurs ou intérieurs ayant un coût pour l’entreprise.
Sans vouloir résumer d’une manière trop simpliste le contenu et la richesse de ces articles on pouvait dégager de chacun de ces articles plusieurs thèmes récurrents :
-prise de conscience de tous les risques potentiels dans tous les domaines,
-nécessité d’adopter une méthode d’analyse et de gestion, par des approches complémentaires ( intervention de consultants, approche par scénarios…)
-Identifications, mesures et évaluation des risques,
-élaborations de solutions,
-mise en œuvre, plan qualité, contrôle, etc.
Il est fait la recommandation que le risque doit être traité par des professionnels dans le cadre d’un projet global avec ce que cela comporte de réflexions, de méthode et de processus qualité. Compte tenu de l’importance que l’on assigne aujourd’hui au risque il va sans dire que de telles décisions sont prises au niveau des dirigeants car elles concernent toutes les fonctions de l’entreprise. Il y a dans le domaine de la gestion du risque des analogies et des symétries avec celle de la gestion des investissements. Il y a bien sûr l’aspect financier qui oppose pertes et coûts liés à une catastrophe aux gains résultant d’un investissement. Mais il y aussi le fait qu’une démarche d’analyse puisse ne pas avoir de limites précises tout dans le cas des études de marchés dont le but est le lancement d’un nouveau produit. On se rend compte que plus l’analyse est poussée, plus on découvre de nouveaux risques potentiels ; et parfois, une étude de marché plus affinée rend la stratégie du produit encore plus délicate ce qui est contraire à l’objectif recherché. Il y a dans les deux cas des actions de recherches qui en se développant accroissent la complexité de la connaissance des choses et de ce fait rende la prise de décision finale encore plus difficile. Reconnaissons que cette difficulté augmente heureusement à un rythme décroissant ! Il y aussi le fait que l’on bute sur cette chose que l’on appelle incertitude et qui comprend tout ce que l’on ne sait pas, qui n’est pas mesurable, qui n’est pas probabilisable, que l’on ne peut cerner, mais avec laquelle le décideur devra composer au moment de son choix. Et en fonction du tempérament de l’entrepreneur, l’incertitude pèsera plus ou moins fortement dans le processus de décision.
Il y a, selon nous, deux sphères distinctes, celle de l’analyse et celle de la décision. Cette dichotomie n’est pas la transposition d’une méthode, autrefois certains manuels de philosophie étaient divisés en deux parties « la connaissance » puis « l’action », mais la nécessité de distinguer la phase réflexion de celle de la décision parce que dans la réalité le comportement de choix du décideur n’est pas directement induit par les réflexions produites par ceux qui ont analysé et parce que ceci a des implications au niveau économique, implications que la microéconomie sous-estime largement. La microéconomie postule en effet que les choix de l’entrepreneur sont conformes aux hypothèses et découlent naturellement des fonctions de maximisation. Or si le calcul de maximisation du profit en tant que principe et de guide, ne peut être remis en cause, les décisions prises n’ont pas ce caractère absolu. Même lorsqu’ils auront pris conscience de tous les risques potentiels de leur entreprise les dirigeants ne décideront pas tous, pour autant de contracter des assurances compensant la totalité des pertes potentielles comme en toute logique ils devraient le faire après en avoir fait une évaluation financière. Dans le même ordre d’idée, l’entrepreneur lambda, même quand l’incertitude ne joue pas, n’ajuste pas en permanence son stock de capital au niveau de ce que lui dicteraient les fonctions d’optimisation. Ce constat peut bien sûr faire l’objet d’explications d’ordre psychologique relatives aux motivations qui guident l’entrepreneur mais la préoccupation de l’économiste est de découvrir les implications d’un comportement que l’on qualifie à tort d’ « irrationnel ».
Pourtant, les techniques d’aide à la décision ne manquent pas, recherche opérationnelle, méthodes multicritères construction d’arbres de décisions, approches probabilistes. Elles ont le grand avantage de structurer la réflexion et de préparer la décision, elles n’ont cependant pas permis d’établir un lien rationnel entre la réflexion et la décision. Comme a pu le constater Jean-Paul Caverni dans les pièges de la raison ( Sciences Humaines N2 ), «. Dans l’incertitude,... , le décideur construit un arbre de décision pour projeter les conséquences des différents choix possibles quant à la probabilité et à l’utilité des évênements correspondants ; Il décide entre les choix selon une règle maximisation de la valeur espérée ou de l’utilité attendue. Cette première orientation s’est révélée incapable de prédire les décisions effectivement prises par les individus et donc à fortiori de décrire les processus mentaux qu’ils mettent en œuvre pour décider ». On décrit ici le décideur « comme grand stratège, à la tète d’un arsenal de prévisions, scénarios, calculs, programmes, projets, qu’une organisation disciplinée et efficace élabore sous sa direction, et dont il conduit fermement mais sereinement la réalisation. Représentation mythique ou modèle normatif ? L’important est que se révèle une trame commune, une sorte de modèle de base, implicite, de la décision stratégique, qui comporte trois temps successifs :
1) L’anticipation : les décisions procèdent de l’état futur de l’environnement
2) Le choix : le décideur est le dirigeant qui exprime sa volonté, fruit de son analyse
3) La mise en œuvre : le choix arrêté par le dirigeant est réalisé par l’entreprise conformément à sa volonté. Malheureusement, de nombreuses études empiriques ont montré que le processus de décision stratégique dans les entreprises s ‘écartent sensiblement de ce modèle rationnel et linéaire » ( Hervé Laroche, « Les décisions stratégiques ou la petite fabrique de la stratégie d’entreprise » 1993). En annotation de cet article, Hervé Laroche précise que « Dans une étude portant sur 73 cas , NUTT estime à moins de 20 % les choix résultant d’un processus rationnel ( Types of Organisational Decision Processes, Adminnistrative Sciences Quaterly,29,3,414-450 ,1984). Après analyse de 136 cas, Hickson et ses collègues n’identifient que 42 cas de processus fluides, ceux qui dans leur typologie se rapprochent le plus de la norme rationnelle (Top Decision, Oxford, Blackwell, 1986). » La pensée stratégique du dirigeant a donc des limites qu’il dépasse « en faisant confiance à l’expérience, aux analogies, à sa perception, à l’intuition… ». On risque alors de décrire ce comportement d’irrationnel car s’appuyant sur des « croyances ». Dans ce même article, Hervé Laroche introduit la notion de paradigme stratégique dans lesquels, la réalité des décisions stratégiques est bien éloignée de l’image mythique. La psychologie du comportement pourrait ici nous éclairer sur les raisons profondes intervenant dans le processus de décision, mais ceci n’est pas véritablement notre intérêt qui porte plus sur le type de décisions prises.
Quatre alpinistes
Laissons de côté le calcul économique pour une virée en montagne. Quatre alpinistes s’approchent d’un sommet qui n’a jamais été escaladé. Au pied de la partie la plus raide, les alpinistes envisagent la voie par laquelle ils vont passer. Malheureusement toute une zone ne peut être visible qu’en étant vraiment engagé dans l’escalade et les cartes de topographie sont imprécises. Le premier, agriculteur, voudra abandonner le projet, car, « quand on sait pas on y va pas ! » , Le deuxième, l’intellectuel, voudra passer du temps sur la carte en la comparant avec ce qu’il peut deviner en regardant vers la montagne (malheureusement, en montagne il faut respecter des horaires et partir en retard est risqué), le troisième, un parisien optimiste qui ne veut pas être venu pour rien proposera « d’y aller et si ça passe pas mal de faire demi-tour », ( lui, il ne sait pas que dans certaine course de montagne il n’est pas possible de faire un retour arrière), le quatrième, sera partant mais avec pour objectif de commencer l’escalade très tôt le matin afin de bénéficier d’une marge de temps d’avance. Dans cette anecdote, l’incertitude a eu pour effet de figer pendant quelques instants nos alpinistes, en fait du temps perdu ; Elle a aussi provoqué des réactions totalement différentes. L’incertitude est impossible à mesurer, on sait qu’elle cache quelque chose d’important, on ne peut l’atteindre mais elle attire parce que l’on a besoin de la cerner car on pense, à tort, qu’on peut la réduire pour découvrir les menaces dont on a aucune idée. La nature humaine n’aime pas l’incertitude et l’approche qui consiste à distinguer deux sphères l’analyse et la décision se justifient d’autant plus que s’accroît le degré d’incertitude au moment de la décision. En d’autres termes, nous avons adopté ici une approche subjectiviste dans le sens que pour comprendre les décisions ce qui compte c’est l’association anticipations intentions. En outre, à partir du moment où l’incertitude empêche la mesure, et donc tout calcul de probabilité, l’approche économique néoclassique par les probabilités subjectives ne peut vraiment pas déboucher sur une solution d’un problème. Tout au plus pourrait-on avoir une approche globale qui partirait de l’hypothèse qu’il est possible de connaître à priori la répartition des types de comportements face à l’incertitude ( x % de parisiens, y % d’agriculteur, z % d’intellectuels, etc..).
La dichotomie que nous expliquons par l’émergence de l’incertitude se justifie également par le degré de complexité et le volume des informations qui environnent l’entrepreneur. En toute rigueur si l’entrepreneur avait un comportement conforme aux hypothèses de l’analyse microéconomique, il aurait à résoudre un nombre très important d’équations sur la base de la connaissance du marché ; positionnement, forme et inclinaison des courbes de demandes, de coûts de son entreprise et de celles de ses concurrents et fournisseurs ! , Il lui faudrait aussi connaître le mode de formation de ses prix et si possible l’état de la demande globale ! Ajoutons, décision oblige, que ceci doit se faire dans un temps limité. Heureusement Dans la réalité l’entrepreneur trouve un équilibre entre ce que lui coûte l’information et le gain que pourrait lui apporter la recherche d’informations complémentaires, et ce, ne l’oublions pas, dans une durée de temps limitée. En général, et surtout dans nos économies complexes ( de par les process de production et la grande variété des biens et services ) les décideurs ont conscience qu’ils ne pourront atteindre le niveau d’informations qu’ils jugent nécessaire pour prendre les décisions qu’ils estiment suffisamment fondées. Dans ces conditions l’entrepreneur lambda qui ne pourra résoudre ses équations et qui prendra conscience que matériellement il ne pourrait les résoudre, n’est plus un « micro-économiste » mais une personnalité avec son comportement, sa responsabilité et sa manière de prendre des décisions ; il définit ainsi un autre univers que l’on ne peut assimiler à celui de l’analyse.
Une double conscience
Dans l’Etre et le Néant, Jean Paul Sartre élabore une philosophie de la conscience fondée sur la constatation que la conscience a ceci de particulier qu’elle a aussi conscience d’elle-même. Ma conscience peut s’observer elle-même entrain d’avoir conscience de la table qui est devant moi. Très schématiquement il y a dans l’approche de Sartre une conscience à deux niveaux. L’économie que nous voudrions décrire est aussi construite à deux niveaux avec cette observation d’elle-même. Le concept de TRI exposé dans les chapitres précédents et qui participe au processus d’explication du niveau de l’investissement….. n’intègre que des valeurs anticipées ( Prix, quantités, salaires, taux d’intérêt ). Mais dès que la réalisation des projets est effective, mise en service des équipements, prise de fonction des employés,… , l’entreprise enclenche alors une tâche récurrente de prévisions visant à déterminer les quantités de production et d’emploi qui ne sont pas forcément égaux aux valeurs des hypothèses retenu dans le TRI . Cette tâche véritablement opérationnelle, fait implicitement partie du modèle d’anticipation du TRI ; Lorsque un entrepreneur établit ses anticipations de ventes prix et quantités d’un nouveau produit,… , liées à un projet d’investissement , il assume aussi le fait qu’il devra , une fois le projet lancé, effectuer cette tâche régulière de prévision . Autrement dit, l’entrepreneur anticipe ses futures anticipations. Cette proposition n’est ni une constatation d’évidence ni quelque chose d’inutile ; quelque chose d’inutile, parce que l’on ne voit pas à priori l’intérêt que l’entrepreneur aurait à expliciter et passer du temps sur une telle réflexion à part le fait de prévoir la charge des activités de marketing. Mais lorsque l’on se situe au niveau global et dynamique dans un système dans lequel règne une dose d’incertitude, l’idée de l’anticipation des anticipations prend tout son sens. Il faut d’abord se rappeler que la mémoire du passé économique nourrit la réflexion au moment des études de projets en particulier pour ce qui concerne les leçons que l’on a pu tirer des comparaisons entre les prévisions passées et leurs réalisations plus ou moins égales à ces prévisions. Il y a donc échange permanent d’informations entre le passé et la sphère des anticipations. De plus, comme le degré d’incertitude évolue lui aussi avec le temps, l’importance accordée, au moment du projet, aux prévisions opérationnelles qu’il faudra réaliser à chaque période, est plus ou moins intense. Si dans un projet on s’attend à ce que le niveau de l’incertitude perdure, la signification et l’intérêt porté à la future activité de prévisions en seront d’autant plus fort. C’est bien ici qu’il faut visualiser le processus de TRI dans la flèche du temps, comme quelque chose de permanent, continue, roulant, irréversible et qui se périme à l’instant présent + une seconde. Par le TRI, l’économie s’observe, s’auto- analyse, et surtout se projette dans le futur particulièrement en tant qu’elle aura à assumer les tâches obligatoires d’anticipations. Un processus de TRI qui ne se comporterait pas comme cela engendrerait quelque chose de rigide et mécanique. Le fait d’anticiper l’activité de prévisions influence le processus d’analyse lui-même ; il est évident que le degré d’incertitude anticipée a une influence, sur les recommandations et le choix des investissements par l’apparition de critères comme le degré d’irréversibilité des possibilités techniques de l’investissement ( possibilité de retour arrière, option location, politique de prix des produits,…).
Bien que ne s’appliquant qu’à des variables virtuels, anticipées et d’intention, le TRI indique des possibilités de grandes directions en partie irréversible et qui seront partiellement modifiées dès que l’investissement sera réalisé ; partiellement, car ensuite l’économie emprunte « librement » des bifurcations réalisables ( au sens de cohérence opérationnelle ) à la suite du jeu des prévisions et de la confrontation aux marchés. Il n’y a évidemment pas identité rigoureuse entre ce que l’on peut attendre du TRI et sa réalisation mais on peut dire que l’économie est en permanence et de manière évolutive, préconçue, précontrainte par le TRI, qui agit comme une conscience à deux niveaux. Sans cette conscience supérieure, le système économique serait difficilement pérenne, il ne serait qu’une mécanique s’auto-reproduisant, purement déterministe, sans aucune souplesse. Dans cette vision du système économique nous ne mettons pas sur un même niveau les anticipations des investissements et les anticipations des biens produits comme c’est le cas dans les modèles théoriques classiques. En d’autres termes nous pensons qu’il faut approcher l’ensemble contenant les projets à un moment donné par un concept spécifique. Cette dichotomie ne se justifie pas uniquement par le fait que l’optique est celle du long terme, mais surtout parce que les anticipations faites dans le cadre du TRI sont complètement virtuelles ; et ce pour deux raisons d’abord parce qu’elles n’ont pas été confrontées à l’expérience du marché, et ensuite parce qu’elles construisent une économie imaginaire, faite d’hypothèses, qui se définie par sa logique et ses causalités. Cette économie, en tant qu’elle est un agrégat de tous le TRI de toutes les entreprises n’a peu de chance d’être viable car elle n’a pas été construite à partir d’expérience de marché, sauf à considérer, qu’il y a perfection de l’information, que le mécanisme des anticipations rationnelles fonctionne totalement ( c’est à dire que tous les entrepreneurs disposent de toutes les informations dont ils ont besoins pour faire leurs anticipations ), qu’il n’y a pas de choc extérieur sur le système et qu’il n’y pas d’incertitude au moment où les anticipations sont élaborées ; Ce qui fait beaucoup de conditions !
La prise en compte du comportement d’objectif de taux de marge appliqué à la décision d’investir renforce l’idée d’une double conscience. Un entrepreneur qui élimine les projets d’investissement dont la rentabilité est selon lui insuffisante a tout à fait conscience que son entreprise ne répondra pas à la demande d’une partie de son marché potentiel. Il est de plus tout naturel de penser que l’entrepreneur gardera en mémoire le fait de ne pas avoir adressé tout son marché et se posera régulièrement la question de savoir si ce marché délaissé demeure potentiel ou pas, car entre temps ses concurrents auront pu accroître leurs parts. En généralisant, on peut donc supposer qu’en situation d’objectif de taux de marge élevé durable, le système économique a en permanence conscience d’une demande potentielle « non traitée ». Cette conscience établie à un niveau supérieure doit certainement avoir des implications sur la conjoncture ; peut être qu’au moment de la reprise, la confiance dans l’état de la demande en sera confortée par la conscience des cumuls des marchés préalablement délaissés.
Cette vision de l’économie conduit à rejeter les analogies faites entre les mécanismes économiques et ceux de la physique. L’économique ne se comporte pas comme une matière inerte pour laquelle le temps est découpé en moments identiques découlant chacun du précédent. Le système économique ressemblerait plus au processus biologique, c’est une chose qui change en permanence au fur et à mesure qu’elle prend forme. Il y a comme dans la cellule biologique une mémoire, mais ce qui est spécifique c’est cette projection intelligente et permanente vers l’avenir qui est en fait un moteur adaptatif et opérationnel ; Ceci n’existe pas en biologie, les chromosomes d’une cellule programment son avenir sans grande marge de manœuvre, et l’adaptation à l’environnement résulte de mécanismes inhérents à la cellule. Il y a donc symétrie opposée entre l’organisme vivant qui opère grâce à la mémoire du passé et le système économique qui fonctionne et se constitue sur la base de projections futures.
Le secret des affaires
La sphère virtuelle que nous appellerons plus loin « couche virtuelle » comprend l’ensemble des anticipations, projets, prévisions des agents économiques. Nul n’ignore que le monde des affaires et particulièrement celui des projets d’investissements et d’innovations s’entoure du secret des affaires. Comme nous le verrons plus tard ceci a pour effet d’induire une certaine incohérence entre les projets mais aussi de renforcer l’indéterminisme du système ? Pour comprendre cette affirmation, citons Popper à propos de la liberté l’individu, car nous établissons à nouveau une analogie entre la conscience humaine et le fonctionnement de nos systèmes économiques :
« Nous pouvons prédire aujourd’hui qu’une idée viendra à l’esprit de quelqu’un d’ici un mois, et que c’est seulement alors qu’elle sera communiquée, et acceptée ; et d’ici là, la prédiction est censée demeurer secrète. Mais cette objection implique que nous avons prédit le système de l’extérieur plutôt que de l’intérieur : nous avons pris des mesures (le secret) afin de ne pas l’influencer. Aussi n’était ce pas une prédiction sur « nous-mêmes ». Au surplus, même à supposer que nous appartenions effectivement au système à propos duquel nous avons fait une prédiction, nous pouvons tout au plus décider de tenir nos résultats secrets. Et ne soyons pas naïfs au point de supposer que nous pouvons prédire d’une manière scientifique que nous mettrons nos décisions en pratique surtout si, en raison d’une croissance imprévue de notre connaissance, les circonstances devaient changer. Ce serait en effet l’équivalent de présumer résolue la question – si l’auto-prédiction est ou non possible- que de supposer que nous puissions prédire ces choses de nous-mêmes. (Sir Karl Popper, l’univers irrésolu plaidoyer pour l’indéterminisme, la prédiction de la croissance de la connaissance )