Forum des idées économiques, du 12 décembre 2003 , à relire 10 ans après

 

                                            Forum des idées économiques du 12 décembre  2003 
Le premier forum des idées économiques a accueilli le 12 décembre 2003 quatre conférenciers, Jean-Paul Fitoussi, Christian de Boissieu, Jagdish N. Bhagwati, Jeffrey D.Sachs et neufs discutants , économistes ou personnalités de l’entreprise dont Bertrand Collomb , président de Lafarge , Michel Pébererau , président de BNP Paribas, Henri de Castries, président du directoire d’AXA et Serge Weinberg , Président du directoire de Pinault Printemps Redoute.
Les débats portant sur le thème « Marchés et Démocratie » ont été organisés par Nicolas Beytout et Eric Israelewicz de la rédaction des Echos, associés pour ce Forum à Sciences Po, AXXA et Pricewaterhousecooper.
Dans le contexte actuel de mondialisation, le principe du marché comme outil de développement fait l’unanimité auprès des conférenciers et des discutants. Les nuances apparaissent dans la dose de régulation à prescrire. Le plus militant en faveur de la globalisation libérale, Jagdish N. Bhagwati ( professeur d’économie à Columbia University ), s’affirme très critique à l’égard des mouvements alter mondialistes dont les manifestants n’ont pas compris que les échanges favorisent l’accroissement du niveau de vie des pays émergeants. Selon Bhagwati, la prospérité économique engendrera une classe moyenne qui jouera le jeu de la démocratie économique et « la mondialisation contribuera à la démocratisation du monde ». Eric Cohen, Directeur de recherche au CNRS, approuve le raisonnement de Bhagwati en précisant cependant que le
décollage d’une économie doit être accompagné d’une part de bénévolance. Soyons donc optimiste pour l’avenir car aujourd’ hui, comme nous le rappel Henri de Castries, beaucoup de pays émergeants se sont développés sous des régimes autoritaires.

Comme le craint Alain Cotta (Université Paris Dauphine ), les avantages de la mondialisation ne bénéficient pas à tout le monde ; des « deux moteurs chinois et américains, il y a ceux qui en profitent et ceux qui n’en profitent pas ». Elie Cohen demeure confiant, et affirme que les effets de revenus dus aux gains de productivité sont immenses. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’origine de fabrication de la plupart des produits que nous achetons. Reste le problème des chômeurs issus des industries européennes délocalisées. Elie Cohen explique que la servicisation et plus de flexibilité sur le marché de l’emploi sont de nature à compenser ces effets négatifs (hors conférence). Serge Weinberg ajoute que face aux chocs à venir, cette flexibilité sur le marché de l’emploi européen et français devient de plus en urgente sinon nous serons contraints par l’absence d’un système de régulation en Chine.
Alors, faut-il une régulation, une réglementation ou une intervention des états ? Il y a là aussi accord pour dire qu’il faut faire quelque chose. Christian de Boissieu souhaite une régulation par la banque et la finance sans pour autant accepter la taxe Tobin. Michel Pébereau se dit d’accord avec Alain Cotta sur le fait que les marchés doivent être régulés
dans une optique keynésienne dans la mesure où les conditions d’entreprises ne sont pas gênées par des rigidités structurelles comme en France à partir de 1982. Pour sa part, Christian de Boissieu montre que l’intervention de l’état est importante pour le décollage d’une économie (encadrement du crédit, intervention du secteur public) mais dans un deuxième temps, l’économie doit être libéralisée. Cette approche est celle d’un économiste qui s’est impliqué dans de nombreux projets de politiques économiques internationaux. D’une certaine manière il est rejoint par l’attitude pragmatique de Jeffrey D. Sachs fermement libéral en URSS mais interventionniste pour les pays du sud. En outre son pragmatisme le conduit à douter de la faisabilité de l’intervention sur les marchés et pense qu’il ne sera pas possible de réguler les marchés financiers internationaux. Pour sa part, Alain Cotta, fait la prévision d’un retour proche du retour du refoulé ( à la Dolto !) , c’est à dire, la nation, l’état et la puissance public.Et ce n’est sûrement pas Jean-Paul Fitoussi qui souhaitera ce retour du refoulé. Selon le président de l’OFCE, si l’on veut éviter le retour à Marie Antoinette et quitter la croissance molle européenne il faudra combler le déficit démocratique qui caractérise le gouvernement économique européen à l’abri des pressions populaires et des procédures de responsabilité politiques alors qu’il dispose du pouvoir d’imposer. En fait la question est de savoir si, face à la réactivité des politiques économiques des Etats unis, la passivité européenne est accidentelle ou structurelle et de reconnaître que la réactivité présuppose la souveraineté. Malheureusement, nous dit Jean-Paul Fitoussi, « le gouvernement
économique de l’Europe est structurellement construit pour ne pas pouvoir être réactif. Car, pour piloter cette politique, l’union s’appuie principalement sur trois institutions;La Banque centrale européenne, le pacte de stabilité et de croissance et la direction de la concurrence ». Ce qui pose problème c’est que « l’orientation des politiques économiques de l’union échappe totalement à la démocratie,…, C’est dans cette évacuation relative du siège de la souveraineté que réside aujourd’hui le problème européen plutôt que dans le recul des états nations… Dans un régime monétaire sur lequel les autorités monétaires nationales n’ont plus prise, les instruments traditionnels de la gestion macroéconomique sont soit inexistants soit empêchés ce qui veut dire que les ajustements des économies nationales ne peuvent que s’en remettre aux marchés, à la flexibilité exigée par le marché, d’où l’insistance du gouvernement économique de l’Europe sur l’ardente obligation des réformes structurelles » Ceci se traduit dans les faits par une économie de plus en plus libérale et un gouvernement économique de l’Europe peu réactif. Ce qui ressemble, en forçant le trait, au modèle du dictateur bienveillant
c’est à dire « d’un gouvernement qui, à l’abri des pressions populaires ne peut décider des règles qu’il juge optimales » mais qui agit au nom d’une doctrine supposée supérieure à toutes les autres.
Jean-Paul Fitoussi propose alors une réforme du gouvernement fédérale de l’Europe ; il faudrait transformer ce qui n’est aujourd’hui qu’un traité et créer, la voie royale, d’un gouvernement fédéral mais en attendant Jean-Paul Fitoussi suggère introduire des éléments de démocratie afin d’exercer un contrôle de la BCE, rechercher d’autres modalités en replacement du pacte de stabilité et de ne plus laisser la politique de la concurrence dans les mains de la commission.
L’analyse de Jean-Paul Fitoussi dense et rigoureuse nous invite donc à réagir face à un enjeu de taille même si BertrandCollomb, Président de Lafarge, rappelle que les Etats Unis avaient une marge de manœuvre plus grande qu’en Europe avec de surcroît des entreprises plus réactives. Par ailleurs, la situation est plus favorable dans des pays qui « bougent » comme l’Autriche, L’Espagne, l’Allemagne alors qu’en France nous traînons toujours nos problèmes structurels.

Tout compte fait, c’est bien Jean-Paul Fitoussi qui a traité le sujet générique du forum à savoir « marché et démocratie ». Même s’il a clairement été dit que l’économie de marché n’engendrait pas la démocratie ou que le régime politique est un élément de la compétitivité du pays, les débats ont surtout porté sur la question de savoir s’il faut ou non réguler les marchés ? Sur ce plan les débatteurs ont été plutôt d’accord pour dire qu’il faut faire quelque chose. En revanche, il n’a pas été dit ce que l’on pouvait faire, ni ce que l’on devait faire et encore moins comment le faire ; On a bien sûr rappelé la nécessité des politiques structurelles mais d’une manière générale peu de suggestions ont été formulées, et pas de formule miracle. Dans démocratie il y a cratie qui signifie pouvoir. Or les idées exposées tout au long du forum donnaient l’impression que les forces des marchés globalisés sont incontrôlables et donc excluent la possibilité de les infléchir par des politiques économiques. Ce manque est-il un aveu d’impuissance ? Peut-être que les expériences concrètes ont-elles conduit les uns ou les autres à plus d’humilité. Peut être que l’on prend conscience que la séparation entre le pouvoir économique et les pouvoirs politiques rend les choses beaucoup plus complexes, ce qui fait qu’on ne sait plus par quel bout les prendre. On deviendrait alors libéral, non pas à cause de la main invisible mais tous
simplement parce que l’on ne peut rien faire.
Conjoncture et  décisions

Bernard  Biedermann

Décembre 2003

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.