L’économie politique des NTIC

                                            L’économie politique des NTIC
La question que pose cet article est de savoir ce que l’on pourrait envisager pour enrayer le retard français en
matière de NTIC en tenant compte de leurs spécificités.

 

                                                          Spécificités économiques des NTIC

Le domaine communément appelé NTIC, regroupe les produits et services matériels ou logiciels résultant de l’intégration complémentaire de quatre techniques classiques : l’informatique, les télécommunications, l’électronique et la vidéo. Il s’ agit bien d’une nouvelle technologie qui répond à une immensité de besoins et qui en créé une multitude de nouveaux.
Elle est fondée sur le principe de la numérisation de tous types d’information et l’on est aujourd’hui bien loin de l’
informatique et des télécommunications des années 70, et que dire de l’électronique et de la vidéo.
L’importance de leurs marchés et l’esprit d’innovation dans lequel elles sont nées ont conduit à les qualifier de « nouvelle économie ». Depuis la fin de la bulle financière, cette terminologie a néanmoins perdu de sa pertinence. Il ne faudrait pas pour autant penser que l’on a atteint l’apogée de leur développement. Sur le moyen terme de nouvelles technologies bien identifiées apparaissent ( voix sur IP, WI FI, IP V6 …).
Plus généralement les NTIC sont nées dans un contexte idéologique libéral sur lequel elles se sont appuyé et qu’elles ont entretenu. Dès son origine le marché des NTIC s’est avéré ouvert, concurrentiel, transparent et le lancement de nouveaux produits et services était le fait des fameuses start-up. Cette conformité aux conceptions libérales du marché ne devait pas uniquement réjouir les adeptes du libéralisme car on voit mal à posteriori quelles administrations (quel qu’en soit le pays) auraient pu assurer une telle réussite.
Mais il ne faudrait pas s’y méprendre, car ce contexte idéologique est en fait paradoxal. Ce n’est pas hasard que les NTIC sont nées aux Etats d’Unis. Depuis plus de quinze ans la recherche américaine dans les domaines de l’informatique et des télécommunications a largement été financée par les budgets de la défense militaire. L’implication de l’état dans des projets financés par l’impôt n’est pas tout à fait conforme aux recommandations des libéraux. En Europe et en France nous n’ avons pas connu une telle situation. On peut cependant rappeler que nous n’avions rien à envier aux techniciens américains.
Le développement par la France, dans les années 70, de la technique de réseau X.25 a été un succès mondial. Aujourd’hui la conjoncture est bien sûr différente et le retard pris par la France et l’Europe est en partie imputable à ce déficit de recherche, qui n’était pas fatal.
Mais revenons aux spécificités économiques des NTIC. On peut résumer leur esprit par « Tout, tout de suite, partout et aujourd’hui mieux qu’hier ». Ceci est vrai pour l’offreur comme pour le consommateur. Il s’agit bien sûr de la rapidité avec laquelle les produits doivent être offerts (time to market) mais aussi au fait que des techniques identiques conviennent à plusieurs produits différents. Les outils qu’offrent les NTIC sont en quelque sorte le support parfait à la base de la production d’une vaste gamme de fonctionnalités. C’est pour cela que les produits et services issus des NTIC ne sont pas des produits comme les autres. Comme la monnaie, les transports ou l’information nécessaire au système économique, ils se diffusent dans toutes les activités et contribuent au fonctionnement du système.
Ils ont très rapidement été intégrés dans les équipements productifs de l’entreprise pour répondre à des besoins qui n’ avaient pas encore trouvé de solutions ; les exemples sont nombreux dans les domaines de la logistique, du contrôle, de la conception, de la sécurité, de la mesure, de la maintenance, de la fabrication, etc. Le dénominateur commun étant de répondre aux objectifs de gains de productivité.
                                                                              Du support à l’innovation

Au départ, informatique et télécommunications étaient des supports, elles sont devenues une activité centrale : l’innovation. Ces investissements d’innovation se sont accompagnés de changements au sein de l’entreprise pour ce qui concerne le management, les relations commerciales, les aspects juridiques, la connaissance des marchés et les possibilités de gestion à distance dans le cadre de délocalisation des centres de production. L’impact des NTIC sur l’emploi s’exerce donc en deux sens opposés :
– elles rendent possible les délocalisations
– elles contribuent à la croissance de la productivité des facteurs (n’en déplaise au paradoxe de Solow …)
voir à ce sujet l’article « Productivité, mondialisation et services » sur https://www.theoreco.com

La contrainte géographique de la localisation propre à la fabrique du 19 ième siècle n’existe plus. Celle-ci fondait son efficacité sur le principe de la division du travail dans un même atelier tout en permettant la surveillance des ouvriers ; mais ne nous y méprenons pas, les outils informatiques deviendront de plus en plus sophistiqués et les tâches répétitives risquent de ré-apparaîtrent, mais cette fois-ci, devant un écran. L’introduction des nouvelles technologies est alors l’ occasion de refondre la structure de l’entreprise et de réformer les processus vers plus de rigueur et plus d’efficacité rendues nécessaire quand la concurrence s’accroît, concurrence elle-même entretenue par l’esprit d’innovation.
Restructuration des secteurs

Les Classiques distinguaient trois secteurs l’agriculture, l’industrie et les services. Cette répartition se justifiait par les flux d’emploi de l’agriculture vers l’industrie puis de l’industrie vers les services. A l’avenir, cette répartition, sera peut être remise en cause, d’abord parce que les NTIC « travaillent » pour tous les autres secteurs et ensuite parce la demande de travail issue des NTIC, en terme de profils et de qualifications, est fondamentalement nouvelle et spécifique.

                                                                                        Consommation

Du côté des biens de consommation l’impact est considérable, qu’il s’agisse du téléphone portable ou de l’utilisation de l’Internet en passant par tous les objets de la vie courante. Pour un grand nombre d’entre eux, un même produit ou service à base de NTIC répond à des types de besoins aussi différents que l’utilisation professionnelle, les loisirs ou l’ amélioration de la vie quotidienne. Grâce à l’utilisation de langages simplifiés et intuitifs ils ont été rapidement adoptés par les utilisateurs qui ne sont plus obligés de lire des modes d’emploi. On est aujourd’hui à des années lumières de l’informatique de papa qui rêvait de machines adaptées à l’homme et non pas l’inverse.
Même si l’on ne mesure pas encore tous les impacts psychologiques et sociologiques de la diffusion des NTIC, la rapidité avec laquelle les marchés se sont organisés a étonné plus d’un économiste, pour les aspects touchant à la diffusion de l’ information, à la flexibilité sur le marché du travail et à la souplesse d’adaptation de l’offre à la demande.

                                                                       Retard des NTIC en France

Les lignes qui précèdent devraient conduire à un certain optimiste. Or, les résultats économiques des NTIC en Europe et particulièrement en France sont plutôt décevants. Plusieurs études d’origines diverses soulignent le retard du développement des NTIC en France par rapports aux Etats Unis mais aussi par rapport à d’autres pays d’Europe.
On sait à quel point il est difficile d’évaluer la part des NTIC dans l’économie. Les experts de comptabilité nationale ont bien sûr réfléchi à ces problèmes de mesure de la diffusion des NTIC dans l’économie. Contentons-nous ici de citer quelques chiffres pour donner des ordres de grandeurs. Même si les sources statistiques sont encore imprécises il y a néanmoins un faisceau de présomption pour dire que la France accuse un retard considérable.

 

 Quelques chiffres en 2004

– Etats-Unis 9.7 % du PIB en 2000
– Europe 7.9 % du PIB en 2000
– France 7.2 % du PIB en 2000

– Etats-Unis 30% de la croissance de 1995 à 2000
– France 20% de la croissance de 1995 à 2000

– Etats-Unis prévisions 2006, la moitié des travailleurs seront employés
dans les industries NTIC ou dans les entreprises qui en font usage.

– Proportion moyenne de salariés utilisant Internet dans le mois :
France en 8 ième position derrière les pays industrialisés

– Nombre de serveurs sécurisés par millions d’habitants :
France en 8 ième position juste devant l’Italie. USA = 9 fois plus qu’enFrance.

– Commerce sur Internet :
France en 21 ième position.

– Part des NTIC dans la valeur ajoutée :
France en 18 ième position

– Investissement dans les NTIC :
France en 17 ième position dans l’OCDE !

En début d’article il est suggéré qu’une des causes du retard des NTIC en France soit attribuée à l’avance de la recherche américaine qui a profité des budgets de la défense, militaire. La deuxième raison du retard des NTIC en France est peut-être à rechercher du côté des entrepreneurs eux-mêmes. N’y aurait-il pas un manque de motivation à la création d’entreprise voire un défaut de préparation lorsque de jeunes créateurs se lancent dans l’aventure ; En outre le problème du financement d’une activité à haut risque se pose régulièrement, et de ce point de vue, force est de constater que les banquiers apparaissent plutôt frileux en exigeant des Objectifs de  Taux de Marge élevée ( sur ce thème, voir les chapitres traitant de l’OTM dans « Les patrons sont –ils des mous ? question posée à J.-M. Keynes » ). Les choses ont radicalement changé. Au moment de la bulle internet les financiers complètement éblouis par les nouvelles techniques n’étaient pas assez exigeants, avaient-ils vraiment joué leur rôle de financiers ?
Du côté des grands groupes on a peut être manqué d’agressivité et de réactivité en privilégiant les projets investissements à rentabilité élevée et faiblement entachés d’incertitude.Globalement la question est bien de savoir comment améliorer l’environnement et les conditions économiques nécessaires à la création d’entreprises dans les NTIC qui se caractérisent par :
– un time to market qui se doit d’être au plus court,
-un flux d’entrée sur le marché très réactif,
-un marché de l’emploi plutôt flexible,
-un environnement technique et culturel de haut niveau et international,
-une composante risque élevée,
-des techniques à vie courte,
-des aspects stratégiques importants,
-l’intégration de techniques différentes, informatique, télécommunications, électronique, sous forme d’équipements et/ou de services.
– des produits et services qui répondent à une gamme extrêmement large de besoins (investissement, grand public, productivité, loisirs …) dans tous les secteurs d’activités.

Un plan pour les NTIC

Vouloir favoriser le développement des NTIC c’est avant tout prendre conscience de leurs spécificités économiques. Pour les NTIC, c’est un peu comme pour la nature : « on ne peut la commander qu’en lui obéissant ». Il faudrait donc imaginer une structure qui tienne compte de sa forte réactivité, de sa souplesse d’adaptation, de ses risques et de son incertitude. La complexité et la grande variété des activités des NTIC rendent la notion de planification illusoire. On ne pourrait donc développer les NTIC avec les méthodes qui avaient été utilisées pour le charbon, l’acier, l’informatique ( Plan Calcul) et même les télécommunications dans les années 70 dans l’ouest de la France. Il faudrait concevoir un modèle adapté au principe des décisions totalement décentralisées.Le retard pris par l’Europe et particulièrement par la France ne pourra pas être rattrapé, il y a cependant d’autres voies à exploiter. Les NTIC vont continuer à se rapprocher du domaine des applicatifs spécifiques exactement comme l’informatique des années 70 et 80 qui a connu une importante croissance des sociétés de service informatique française.
L’enjeu n’est pas tant de définir la mission et les objectifs d’un plan NTIC mais d’en préciser les moyens. Ainsi une approche par métiers consisterait avant tout à minimiser les difficultés que les offreurs peuvent rencontrer dans la réalisation de leurs projets pour ce qui concerne la connaissance des besoins, l’analyse des marchés, la disponibilité de ressources nécessaires au démarrage en terme d’équipement, de logiciels et de services informatiques et télécommunications.

Cela pourrait se concrétiser par la création d’un pôle qui fédère l’existant des ressources et dont la croissance se
ferait d’une manière évolutive selon le principe du cluster. Au fur et à mesure des besoins, les ressources seraient adaptées et mutualisées ce qui permettrait de rendre le pôle opérationnel rapidement, sans engager des fonds importants au démarrage. Comme il existe déjà en France un grand nombre de pôles régionaux ayant pour vocation le développement de nouvelles technologies et il serait intéressant de leur offrir une structure centralisée qui permette les échanges et la mutualisation de ressources de toutes sortes. Même si la proximité d’organismes de recherche privés ou publics est une donnée des conditions d’implémentation, la question du site géographique du pôle central, ne devrait pas se poser dans la mesure ou l’essentiel des ressources serait réparti et qu’il existe déjà plusieurs centres régionaux.
Bernard Biedermann
Conjoncture et décisions
https://www.theoreco.com
Juin 2004

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