Le capitalisme est en train de s’autodétruire

 

 

                                                       

 

Dans leur  essai, Patrick  Artus et Marie-Paule Virard  proposent une analyse décapante du capitalisme actuel  qui ne connaît plus de projet en raison de l’absurdité du comportement des investisseurs   exigeant des entreprises des résultats trop élevés. Le livre est bien argumenté et les démonstrations toujours  illustrées par des chiffres. Dans plusieurs articles nous avions déjà  abordé  cette hypothèse de comportement d’exigence de rentabilité des investissements,  « Le capitalisme est en train de s’autodétruire » nous incite à y  revenir et à ouvrir le débat, (publications sur Conjoncture et décisions : « De l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt », « OTM, investissement et chômage »,« Les patrons sont-ils des mous ? question  posée à J.-M. Keynes »)

 

                          Thèmes développés dans « Le capitalisme est en train de s’autodétruire »

A propos des exigences de rentabilité, les auteurs reprennent le thème des fameux  15 %. La pression sur le ROE est telle « qu’en dépit d’une conjoncture morose , en Europe continentale en tout cas , aucun investisseur n’imagine plus voir le rendement des fonds propre des entreprises descendre au-dessous du seuil des fameux 15 % ».  Eu égard   au bas niveau des taux d’intérêt cette situation est vraiment anormale et la prime de risque différentielle n’est guère justifiable. Tout incite les entrepreneurs à dégager des résultats aussi élevés que possible, le plus vite possible. Il y a alors sous investissement et allergie aux projets à horizon long ; les «  grands groupes sont in fine encouragés à abandonner un certain nombre de projets de développement ou de recherche dont la rentabilité est jugée trop faible au regard des exigences actuelles, et qui serait réalisés si la norme de rentabilité était raisonnable ». Cette situation inquiète nos  auteurs. Le mimétisme des investisseurs contribue à entretenir cette situation par le syndrome de la myopie nominale, l’influence des effets de la bulle Internet et par la concurrence acharnée que se livrent  les fonds de pension, fonds d’investissements et sociétés d’assurance vie. Il y a  simultanéité des décisions qui se traduisent par des variations brutales du prix des actifs. En quelques décennies on est passé  d’une détention individuelle à une détention « intermédiée » par des gérants professionnels. Or, ces derniers n’ont  pas  les mêmes objectifs que les épargnants individuels dont les transactions se compensent  et stabilisent les fluctuations de prix. Leurs  objectifs  sont  la « maximisation de leur part de marché dans la gestion globale de l’épargne ». Ceci conduit à pénaliser  «  tout rendement inférieur  à la moyenne de ceux obtenu par les autres gérants » et conduit à des structures de portefeuille qui se ressemblent  toutes et doivent coller aux anticipations du marché sur le court terme.  Cette course à la rentabilité s’est concrétisée par un développement considérable  des hedge funds fondés sur le principe d’anticipation astucieuses sur les performances des entreprises ; ces fonds travaillent aussi sur le court terme. En outre ils utilisent le levier d’endettement  à court terme, avec le risque d’une crise d’illiquiditée. En outre  les nouvelles règlementations découragent la détention d’actifs longs ou risqués. Les nouvelles  règles comptables mise en place en  2005 imposent la valorisation continue au prix du marché des actifs ce qui contribue aussi à la religion du court terme. La traduction dans l’économie réelle est alors évidente : sous  investissement, délocalisations, frilosité, polarisation vers les gains de productivité et le système s’auto entretient. « La hausse des profits donne aux  entreprises les moyens de continuer  à faire progresser les gains de productivité ; la faiblesse de la demande pèse sur le pouvoir de négociation des  salariés  et rend inutile les investissements de capacité ».

L’analyse de Patrick Artus et Marie Paule Virard, parce que  cohérente  et  fondée  est  susceptible d’engendrer la crainte. Faut il pour autant adhérer à leur pessimisme ? Certes les comportements  d’objectif de rentabilité  engendrent  le sous investissement et donc un moindre niveau de l’emploi (Voir article OTM, investissement et chômage). Mais l’investisseur  individuel c’est-à-dire  le client des sociétés qui proposent ces fonds miraculeux restera-t-il naïf au point de croire aux 15 % de rentabilité ? Avec le temps il comprendra que les gains qu’on lui a fait miroités n’ont été que des promesses insoutenables et le jugement de bon sens remontera vers les intermédiaires qui tiendront alors un discours  un  peu plus crédible. Et puis, rappelons le,  la bulle Internet a dû  en échauder plus d’un.

Les auteurs  soulignent avec pertinence  que les intermédiaires financiers, en raison de leur mimétisme, « font le marché » ;  mais les choses on-t-elles vraiment changées ?  Ne peut on pas dire qu’autrefois les grands détenteurs de titres  (les banques et les grandes familles par exemple) faisaient  aussi  le marché ? Cette structure financière  composée  d’intermédiaires contraint à une forte rentabilité sur le court terme.Mais   il ne faudrait pas  exagérer leur pouvoir vis-à-vis de ceux qui prennent les décisions en matière d’investissement productif.   Le pouvoir des actionnaires et des  directions financières  n’est certes pas  négligeable mais les directions des grands groupes comme celles  des petites entreprises écoutent aussi  les avis des directions de marketing et des ventes qui sont en permanence dans l’attente de nouveaux produits performants et compétitifs.

 

                                  L’approche par la répartition de la valeur ajoutée

 

A plusieurs reprises  les auteurs  raisonnent sur  une  vision des profits  fondée sur la notion de répartition de la valeur  ajoutée, ce qui en soit n’est pas faux sur le plan comptable  mais tend à faire oublier le caractère fluctuant et résiduel des profits. L’agrégation des profits au niveau macroéconomique ou sectoriel masque les  fortes fluctuations des profits qui résultent des mouvements de prix  corrélés à ceux des ventes. Une chute de la demande s’accompagnant en général d’une baisse des prix :

le produit :    prix (après remises)  * quantités

devient   alors la raison principale des fortes fluctuations des profits. Ceci explique aussi le caractère imprévisible des  profits réalisés avec les effets de surprise au moment des publications de résultats. Il y a aussi le fait que le niveau de profit à un moment donné résulte  de décisions prises plusieurs mois voire plusieurs années avant les résultats. Ces décisions ont été prises dans un certain  environnement conjoncturel  passé. Le degré d’incertitude relatif aux anticipations et  la nécessité de rétablir une situation financière, jouent  sur les Objectifs de  Taux de Marge. Par ailleurs les  répartitions des taux de profits entre les secteurs aussi bien que parmi les entreprises d’un même secteur sont d’autant plus larges que le niveau global est élevé ; les délocalisations agissent également dans le sens d’un plus grand éventail des niveaux de profit. Pour des raisons contractuelles, les salaires sont beaucoup plus stables que les prix et le niveau de l’emploi n’est pas ajusté, sur le court terme, en fonction des  anticipations et des  fluctuations de la production. L’évolution de la masse salariale évolue donc de manière beaucoup plus linéaire. Pour ces raisons il est  délicat de fonder des recommandations en matière de salaires sur la base de la part des profits dans la valeur ajoutée. Par ailleurs les investissements délocalisés s’effectuent à des valeurs inférieures à ce qu’elles seraient dans les pays développés, parce que les équipements eux-mêmes, mais aussi la maintenance ainsi que la logistique sont disponibles à des prix inférieurs. De plus, le différentiel de coût du travail est tel qu’il incite à une intensité capitalistique la plus faible possible. Ceci expliquerait une partie de la faiblesse de la valeur de l’investissement et leur caractère de court terme ; sur ce dernier point il  faut néanmoins préciser qu’un grand  nombre de productions délocalisées concerne la petite industrie ne nécessitant pas d’infrastructures lourdes de long terme. Il faut aussi se poser la question de la nature des produits de la demande futures .Il n’est pas sûr que leur production nécessite des infrastructures dont l’horizon de financement est le long terme, à l’exception de la recherche ou de certains secteurs comme le BTP ; à ce propos il a été surprenant d’apprendre qu’un paquebot de croisière aussi grand que le France peut être livré en 3 ans après sa commande.

Un nouveau Grenelle ?

Les auteurs ne suggèrent pas d’augmentation des salaires réels par  un « un nouveau Grenelle des salaires  » ; Ils laissent également de côté les déblocages  anticipés de l’intéressement et de la participation. Sur ce point, nous proposions dans l’article (Epargne salariale Contra cyclique), que les déblocages de l’épargne salariale,  fassent l’objet de décisions qui s’inscrivent   dans le cadre de la politique conjoncturelle de moyen terme et non de la politique des revenus.

Les auteurs proposent alors de  « déverrouiller la concurrence pour faire baisser les  prix » car en France, les marchés des biens et services ne sont pas encore marqués par une  concurrence suffisante notamment dans les télécommunications, les services bancaires, la distribution et les transports. On ne pourra réanimer la réactivité de l’offre  que si « l’argent qui coule à flots actuellement dans l’économie mondiale soit utilisée à bon escient pour favoriser l’adaptation des économies, investir dans les ordinateurs, les usines, les infrastructures, la recherche et développement, et non pour alimenter la quête à court terme de rendements financiers raisonnables, au détriment des entreprises et de leurs salariés comme de l’ensemble de l’économie. »

L’idée est théoriquement bonne et dans la réalité on n’a pu constater qu’à l’occasion de  ralentissement de l’activité, les baisses de prix de bon nombre de produits  ont   un effet revenu positif  pour les consommateurs, et ce  en raison de la rigidité des salaires supérieure à celle des prix. Mais la question à se poser est de savoir quels sont les secteurs dans lesquels  une concurrence accrue  se traduirait  par une baisse des prix :

  • les transports (14.9 % de la dépense des ménages) : La concurrence entre constructeurs automobiles européens est déjà forte. Les prix des transports en communs sont proches de leurs coûts.  Le prix du pétrole ne peut être contrôlé par les états.
  • logement, chauffage, éclairage (24.4 % de la dépense  des ménages) : Une relance de la production du parc immobilier   pourra  stopper la hausse des loyers mais la concurrence dans le BTP n’est pas négligeable et le  marché de l’emploi dans ce secteur risque d’être tendu faute d’offre de candidats. Pour ce qui est  du gaz et de l’électricité  la remarque est la même que pour les transports en commun et le pétrole.
  • Alimentation et boissons non alcoolisées (14.6 % de la dépense des ménages) : On voit mal comment les agriculteurs accepteraient une baisse de leur revenu.
  • Communications (2.5% de la dépense des  ménages) : des réductions de prix des opérateurs sont envisageables mais ce budget ne représente que 2.5% des dépenses. A noter qu’à l’international la concurrence entre les opérateurs de  Télécom a atteint sont maximum et les plus solides d’entre eux attendent la disparition des plus faibles.
  • Loisirs , culture ( 9.2% de la dépense des ménages) : Les dépenses en équipements ( TV HI FI , informatiques , jouets ..) concernent des produits appartenant à  des secteurs déjà  fortement concurrencés au  niveau mondial.
  • Santé (3.8 % des dépenses des ménages) : des gains sur les prix  sont envisageables.

On constate malheureusement que les possibilités de  gains de revenus  par baisse des prix  résultant d’un plus grand degré de concurrence seraient plutôt  faibles. C’est toutefois  dans le secteur de la distribution  qu’il semble qu’une concurrence renforcée  pourrait   induire une baisse des prix à la consommation.

                                                         Les  nouvelles frontières du capitalisme

Les auteurs partent du constat  d’un stock d’épargne mondial immense   à  la recherche d’investissements  rentables  au niveau  global. Qu’il y ait au niveau mondial un  stock immense ne nous étonne pas ; dans une économie globalisée ,  il n’ y aucune   raison que l’épargne demeure  « nationale », mais le fait de relier cet immense stock d’épargne à l’idée selon laquelle le capitalisme risque de s’autodétruire  en raison des exigences de profit nous conduit à poser le problème  des frontières  du capitalisme.

Prenons le cas  d’une économie d’un pays X très peu mondialisée ; pour faire simple, celle-ci n’échange avec l’extérieur (exportations, importations)  que des biens et services. Il n’y a pas de capitaux investit directement à l’intérieur, ni à l’extérieur. Si dans une telle économie, pour une raison quelconque, les entrepreneurs ne  décident  d’investir  que dans  des projets à forte rentabilité, on peut, dans un premier temps s’attendre à une épargne, issue des profits  en croissance. Mais , avec le temps ,  le sous investissement qui  découle des objectifs de marge élevés  fini dans par se traduire par moins de recrutement , plus de chômage , une demande des ménages à la baisse et finalement une baisse du niveau des titres et donc de la valeur de l’épargne. Le niveau de la valeur du stock d’épargne  dépend plus ou moins directement de l’activité économique, et  il fond lorsque l’activité s’arrête. Ce raisonnement s’applique à une économie  « comptablement »  définie. Il s’applique à un système limité. Comme le rappellent Patrick Artus et Marie-Paule Virard, il y a aujourd’hui un stock d’épargne élevé. Si ce stock est  élevé, c’est bien parce que l’activité économique  se porte bien. Elles se portent bien au niveau mondial, globalement le PIB mondial est toujours en croissance malgré des objectifs de taux de marge  élevé, au niveau mondial. Les objectifs de taux de marge sont élevés parce ce que les investissements délocalisés comprennent un risque supérieur à un investissement domestique (risque politique,  risque logistique, difficulté de contrôle, instabilité sociale..) et  surtout parce que les niveaux de coût du travail  dans les pays concernés le permettent. La première entreprise d’un secteur qui se délocalise pose immédiatement le problème à tous ses concurrents qui se sentent  obligées de la suivre. Les économies occidentales ouvertes à la mondialisation sont donc bien contraintes  d’adopter le comportement d’Objectif de Taux  Marge. Malheureusement  plusieurs économies occidentales, notamment en Europe,  continuent à  connaître une croissance molle. Les comportements  d’Objectifs de Taux   Marge élevés  sont en partie  responsable mais   on ne peut pour autant  en conclure que le capitalisme est en train de s’autodétruire ; c’est là que nous pensons que l’analyse du capitalisme d’aujourd’hui à partir  des résultats des  économies française, italienne, allemande,…, ne peut  conduire à un jugement pertinent. Plus que jamais, les décisions ont une composante mondiale ; la notion de frontière a de moins en moins de sens. Quelles que soient les variables , pour bien analyser les choses il convient  de ne raisonner qu’au niveau global   et  du point de vue des agrégats ,PIB , profits  ,  consommation ,  FBCF , croissance du niveau de l’emploi  , le capitalisme mondial se porte   plutôt bien ,  mais ça dépend pour qui ! , et la question est alors de savoir  quel en est le périmètre.  Il y a aujourd’hui  en Chine plusieurs centaines de millions de personnes   réellement  ou potentiellement  au chômage par le fait de l’émigration des campagnes vers les villes. Cette tendance est bien connue des entrepreneurs occidentaux ; L’investisseur potentiel  anticipe que les coûts salariaux  actuellement X  fois moins chers resteront  faibles  pendant toute la durée  de l’investissement. Ces anticipations se fondent sur une autre anticipation, celle  de l’offre de travail qui  resterait  forte au  moins sur la même période. Ne serait ce que sur cet exemple simple on voit donc bien  à quel point  la notion de périmètre   est importante  lorsque l’on veut analyser le système capitaliste actuel et la généralisation de résultats nationaux conduits à des conclusions pessimistes. Les causes des délocalisations  ont  fait l’objet de nombreuses études (OFCE notamment), et  aujourd’hui on y voit un peu plus clair. En deuxième position, derrière les gains de coût il y a les possibilités de nouveaux marchés dont les produits constituent des exportations pour le pays de l’entreprise ayant délocalisé sa production. Aujourd’hui  ( en novembre 2005 ) le capitalisme se porte  bien et les conjoncturistes s’accordent à dire que les  risques systémiques  sont faibles,  sauf à partir d’une chute de l’immobilier aux Etats–Unis.    

Les phrases entre « , » sont toutes issues du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard , Le capitalisme est en train de s’autodétruire .

Bernard Biedermann

Conjoncture et décisions

https://www.theoreco.com

novembre 2012.

 

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