Dans cet article nous proposons une explication du processus de formation et d’implosion des bulles économiques.
La phase de formation se caractérise par une augmentation rapide et durable des prix, des quantités et donc des revenus. Puis la phase d’implosion est brutale, surprenante et dévastatrice. Les mécanismes qui contribuent à la formation de la bulle et son implosion ont la réputation d’être peu conformes à la rationalité économique ; nous suggérons de revenir sur cette prétendue irrationalité.
Conditions de formation d’une bulle
La formation d’une bulle s’appuie sur une demande excédentaire (D-O>0) continue dont la résolution s’effectue essentiellement par des hausses de prix elles aussi continues dans le temps. Il en résulte une activité de revenu plus élevée que ce voudrait le bon sens et que certains ont pu qualifier d’artificielle.
On est en présence :
–d’une insuffisance de l’offre pour des raisons, géographique (immobilier, tourisme), naturelles (matières premières minières et agricoles) ou factorielles (marché de l’emploi, capital).
-d’un niveau de demande élevé, par effet revenu, en raison d’une évolution des préférences des consommateurs ou de nouveaux besoins liés aux changements de la vie quotidienne et surtout du fait que le report d’achat dans le futur est considéré comme insatisfaisant .
Rappelons en outre que les effets de taux d’intérêt bas sont plus forts sur la demande que sur l’offre (à ce sujet voir l’article « De l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt »).
Dans un marché en forte croissance l’aspect temps est déterminant, du côté de l’offre en raison des délais de production et du côté de la demande par le souhait d’achats, sans délais, voire précipités. On le sait, les précipitations d’achat sont souvent dictées par des anticipations rationnelles, comme dans l’immobilier, à tel point que l’on a pu dire sous forme de raccourci que « plus les prix montent, plus la demande augmente ! ».Dans ce secteur comme ailleurs, les mythes contribueraient à appuyer la demande d’autant plus qu’ils s’autoalimentent au sein des média et du grand public
Plus communément on parle d’euphorie de court terme qui en fait, arrange tout le monde, car acheteurs et vendeurs sont aussi spéculateurs.
Les causes de l’implosion d’une bulle
La vie économique est telle que tous les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et que ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui. Un beau jour, la bulle éclate.
L’hypothèse que nous faisons est celle d’une rencontre brutale entre le marché réel en ascension rapide et le marché potentiel en baisse.
Le marché potentiel est en général défini « par les ventes totales qui pourraient être obtenues par l’ensemble des firmes présentes au cours d’une période de temps donnée, pour un effort de marketing donné et dans des conditions d’environnement données ». Cette définition s’applique aussi bien aux volumes qu’aux valeurs.
Nous faisons cependant l’hypothèse que :
1- les anticipations relatives aux marchés potentiels, faites par les offreurs privilégient les quantités au détriment des prix.
2- les prix constituant le marché potentiel en valeur, anticipés par les offreurs, ont été figés à tort au commencement de la bulle et font l’objet d’une certaine rigidité.
Cette hypothèse relève d’un comportement normal des entrepreneurs qu’il serait trop long de décrire ici ; rappelons simplement que la plupart des business plan envisagent une baisse régulière des prix au fur et à mesure que l’on se rapproche du plafond du marché potentiel. Dans le cas d’une bulle on est bien évidemment dans le cas de figure contraire.
3- Le marché potentiel reconstitué sur la base des prix réels constatés périodes après périodes se dissocie progressivement du marché potentiel préalablement anticipé par les offreurs.
Ces perceptions divergentes sont d’autant plus voilées que les produits en question font l’objet de spéculations.
Il y a donc un marché dont la valeur est en très forte croissance et qui rencontre brutalement la limite du marché réel beaucoup plus tôt que dans le cas « normal » de la courbe en S habituellement constatés par les professionnels du marketing.
Dans le cas de figure « normal » se succèdent dans le temps, lancement, croissance, maturité puis déclin pour ce qui concerne les quantités, les prix et les profits… Dans le cas d’une bulle, l’implosion a lieu en pleine phase de croissance.
Le contexte psychologique d’euphorie se caractérise par la certitude que le niveau de la demande excédentaire constaté dans les périodes précédentes va continuer sans limite précise dans le temps et, par un déni plus ou moins conscient, de l’évidence de la limite du marché. La demande est relativement bien identifiée en termes de clientèle de court terme mais l’évolution du marché potentiel qui devrait être remis en cause par l’augmentation rapide des prix est complètement occultée. La rapidité de la croissance ne laisse guère le temps de prendre du recul, « ce serait d’ailleurs inutile car ce serait une perte de temps ».
Bulles et spéculation
La plupart des bulles ont été associées à des spéculations notamment parce que ces dernières peuvent accentuer le gonflement de la bulle. Mais, rappelons le, la spéculation fait partie intégrante des mécanismes de marché surtout lorsqu’elle est rendue possible par la possibilité de stockage.
– on achète et on stocke si l’on pense que le prix va augmenter,
– on vend et on déstocke si l’on pense que le prix va baisser,
– on achète et on se fait livrer aujourd’hui puis on paie à terme au prix d’aujourd’hui si on pense que le prix va augmenter ou, au prix de demain si on pense que le prix va baisser,
– on vend aujourd’hui et on se fait payer demain au prix courant si on
– pense que le prix va augmenter, ou au prix d’aujourd’hui si on pense que le prix va baisser,
– etc
Les principales variables des mécanismes de la spéculation s’inscrivent dans temps : anticipations de prix et de quantités, risques sur paiements et sur livraisons, taux d’intérêts et taux de changes, …
Le cas de l’immobilier
La spécificité de l’immobilier consiste dans le fait qu’un même objet peut se transformer en plusieurs autres produits différents. Ainsi un immeuble peut faire l’objet d’une transaction,
– de location de long terme,
– d’achat d’habitation de long terme
– d’achat d’habitation de quelques années avec un espoir d’une plus- value à la revente dans l’optique d’un deuxième achat
– d’achat sans location dans le seul but de revente avec plus-value
– d’achat de long terme parce que la location est plus chère,
– d’achat de thésaurisation,
– etc.
D’autres facteurs tels que les conditions d’héritages, de prêts et de fiscalité interviennent également. Il faut également tenir compte des travaux de rénovations et de réhabilitation de quartier qui repositionnent complètement les différents marchés immobiliers.
Certains pensent que les interactions entre toutes ces variables sont à l’origine de la bulle et que celle-ci a été renforcée par des phénomènes sociologiques de croyances, de mythes autoalimentés et d’euphorie qualifiés d’irrationnels. Les prix subiraient un mécanisme autoréférentiel : «un prix démesurément élevé aujourd’hui se justifie uniquement par la croyance qu’il sera plus élevé demain, alors que la comparaison avec les prix d’autres actifs ne peut se justifier » ; Nous pensons cependant que cette manière de voir se doit d’être nuancée lorsque l’analyse se fait plus précise et moins superficielle.
Bernard Biedermann
Conjoncture et Décisions
avril 2010