Le contenu de cet article a été intégré dans l’essai « Le numérique, c’est l’économique » accessible par l’article : Le numérique, c’est l’économique, en tête du blog :
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Dans les décennies 60 et 70 l’analyse du phénomène de l’inflation (à deux chiffres, à l’époque !) intégrait l’impact des hausses de prix sur le comportement de l’entrepreneur. Celui-ci éprouvait des difficultés majeures à évaluer la part d’augmentation des prix de ses produits due à l’inflation, de la part due à l’évolution de la demande vers ces mêmes produits. On qualifia cette difficulté de « problème d’extraction de signal » qui devait se traduire par des erreurs d’ajustements au niveau de la production et donc de l’emploi. En développant l’analyse on aboutît alors à décrire un phénomène de déséquilibres généralisés sur tous les marchés, induisant la coexistence du chômage et de inflation, c’était la stagflation. Sur le long terme on craignait une évolution de type entropique, irréversible désordonnée et auto-entretenu, car rien ne permettait d’espérer un rééquilibrage naturel. Les ralentissements des économies qui ont suivi les chocs pétroliers et surtout, les politiques anti-inflationnistes, ont permis de réduire l’inflation à un taux minimum jugé normal avec cependant une croissance qui ne s’est pas accompagné d’un niveau d’emploi correspondant théoriquement au faible taux d’inflation. C’est dans ce contexte que l’hypothèse d’imperfection de l’information a pris toute son importance dans plusieurs modèles théoriques ; ceci s’est traduit par des constantes de rigidité appliquées aux prix.
Dans cet article nous proposons l’idée selon laquelle l’hypothèse d’imperfection de l’information sur le court terme n’est plus d’actualité mais que les décisions d’investissements sont toujours entachées d’incertitude. De plus, relativement, la bonne qualité de l’information du court terme induit une exigence accrue d’information dans le process de décision d’investissement.
De nos jours,
Les entreprises contemporaines sont dotées de services de marketing avec pour principales fonctions, le suivi de l’évolution du marché, le développement de produits et la mise en place de la stratégie. Ces activités sont pleinement dépendantes de l’information en provenance de leurs clients et prospects, et particulièrement les services de marketing opérationnel dont l’un des objectifs est de traiter l’information en « temps réel ». Un service de marketing opérationnel digne de ce nom se doit en effet d’adapter la stratégie produit et la politique de court terme avec une grande réactivité.
Les tableaux de bord produits régulièrement par les responsables du marketing opérationnel fournissent des informations quantitatives et qualitatives sur :
– le nombre de propositions, par clients, par prospects,
– les affaires conclues, perdues, abandonnées,…
– le chiffre d’affaires par client, par produit, par pays, par régions,
– les prix, remises, rabais, ristournes, par zones, par clients,….
– les quantités vendues, par zones, clients, …,
– l’évolution relative des chiffre d’affaires par produits,…..
– les taux de marge par produit, par affaire, par zone,…
– les prix, marchés, quantités de la concurrence
– l’évolution du marché
– les résultats financiers,
– Etc. …
Ces informations sont fiables par le fait qu’elles émanent en grande partie des services commerciaux quotidiennement « sur le terrain ». Elles sont rapidement exploitables grâce aux outils informatiques et télécommunications et permettent d’élaborer des prévisions pour ajuster les stratégies de prix, d’offre, de canal de vente, de communication, de publicité et de logistique en flux tendu.
Il ne s’agit pas de décrire dans sa globalité la vie d’un service de marketing car bien d’autres faits contribuent à l’amélioration de la connaissance des marchés comme par exemple, les objectifs de reporting des commerciaux ou, le développement de la presse spécialisée. La collecte d’informations relatives aux produits achetés est souvent réalisée par des détournements de fonction ; le paiement par carte bancaire dans le secteur de la distribution s’avère être une source particulièrement riche des goûts des consommateurs.
Du coté de la demande le niveau de la qualité de l’information est lui aussi en constante amélioration grâce à la presse spécialisée, aux diffusions publicitaires et aux données accessibles par Internet (comparateurs de prix, calculateurs financiers, catalogues en ligne, associations de consommateurs, sites officiels, petites annonces, …).
Doit-on alors abandonner l’hypothèse d’imperfection de l’information et de ses effets sur les prix ?
Si l’on généralise ce que nous venons de décrire, on se doit alors d’abandonner l’hypothèse d’imperfection de l’information avec toutefois une nuance, car la réalité de la notion d’imperfection de l’information n’est pas binaire.
Il convient d’abord de définir plus précisément le périmètre de la notion de perfection de l’information. Il y a d’abord une limite temporelle ; nous proposons de limiter l’hypothèse au court terme, tel que l’entreprise le définit elle-même. Selon l’activité ou le type de produit la notion de terme n’est pas la même et la distinction court terme /long terme sur la base de la constance ou non du capital n’est pas forcément pertinente. L’hypothèse s’applique ensuite au périmètre regroupant les sous-ensembles du marché : clients et prospects. Concernant le périmètre relatif à l’environnement économique global nous sommes plus nuancé, en raison du retard des publications des résultats économiques globaux, et surtout parce que la corrélation entre le marché en question et l’analyse globale n’est pas évidente et fluctue dans le temps. La collecte d’informations relatives aux comportements de la concurrence est fonction de l’agressivité de la recherche d’information et de la protection de l’entreprise « espionnée » et donc moins fiable.
A l’exception de cette dernière nuance c’est donc dans un tel périmètre de connaissance de l’information que l’entreprise d’aujourd’hui se sent à l’aise au quotidien pour ses prises de décisions stratégiques.
Ceci implique que les phénomènes, de rigidité de prix à la baisse causée par l’incertitude, de mimétisme, de surprises, d’erreurs d’ajustement par les prix et /ou par les quantités, ne sont plus vraiment d’actualité.
Il y a cependant deux domaines pour lesquels l’imperfection de l’information doit être maintenue : le marché des produits à l’innovation faisant l’objet d’un nouvel investissement de production et des projets de marché à l’international.
Périmètres pour lesquels le maintien de l’hypothèse d’imperfection de l’information s’impose encore
Le lancement d’un nouveau produit innovant ou la conquête d’un nouveau marché nécessitant d’investir dans du capital productif se traduit par une activité managérial qui n’a rien à voir avec le contexte du business au quotidien décrit précédemment.
On est maintenant dans un autre monde : celui du futur, des anticipations, des hypothèses, des scénarios, et de l’incertitude. On n’est plus dans le tangible, on est dans l’imaginaire. Les informations sur lesquelles se fondent la réflexion sont partielles, insuffisantes, plus ou moins sûres, entachées de marge d’erreurs, contradictoires et donc discutables. La constitution d’un business plan s’avère être l’exercice délicat avec la part de risque dont l’évaluation est liée à la psychologie et à l’intuition du décideur. Dans ce contexte, l’incertitude induit des comportements décrits par la théorie des choix d’investissement comme par exemple le mimétisme. Dans les directions concernées ce type de décisions fait l’objet de process responsabilisants.
L’idée que nous suggérons consiste à mettre en relation le business au quotidien et celui de l’investissement dans un nouveau produit et /ou marché. Le contexte de la décision d’investir s’entache d’incertitude d’autant plus que le business au quotidien s’appuie sur une base d’information satisfaisante pour l’analyse et la stratégie de court terme. C’est un paradoxe compréhensible dans la mesure où les décideurs ont besoin de repères. Face au besoin d’information le fossé entre les hypothèses du busines plan et la qualité des résultats chiffrés au quotidien accroissent de manière relative le sentiment d’incertitude et d’insatisfaction .
A l’international
Le développement de nouveaux marchés à l’international même sans investissement notable relève de procédures comparables. Dans la phase de prévisions formulées sur les taux de changes futurs et les anticipations d’ajustement de prix qui devront en découler s’additionnent des difficultés d’ordre culturel, organisationnel et juridique. L’impact de l’incertitude est d’autant plus prononcé que la nécessité d’une taille minimum s’impose sur les marchés internationaux.
Mais, dans la phase opérationnelle, les choses ne se passent pas nécessairement comme cela avait été prévu ; l’entreprise adopte souvent un comportement de pass-through qui consiste pour la « firme exportatrice à ajuster sa stratégie de prix de façon à lisser l’impact des mouvements de change sur les prix à l’importation. Dans un cadre d’incertitude sur le niveau futur du taux de change et de concurrence imparfaite, on montre que les firmes exportatrices peuvent effectivement avoir intérêt à adopter une stratégie de pass-through incomplet sous certaines hypothèses relatives à la fonction de demande ou à la technologie de production qu’elles utilisent. Laisser les prix étrangers s’ajuster aux mouvements de change introduit en effet un risque de demande pour la firme, qui ne peut pas prévoir la quantité qu’elle devra produire lorsque les prix en monnaie locale sont sensibles aux chocs de change. » (SEGMENTATION DES MARCHES INTERNATIONAUX ET GLOBALISATION EN MACROECONOMIE OUVERTE, Isabelle Méjean, Paris I – Panthéon Sorbonne). Implicitement, on peut en en déduire que l’entreprise connaît bien sa courbe de demande et, « lorsque le risque de demande est élevé, l’exportateur peut donc avoir intérêt à absorber les mouvements de change de façon à maintenir les prix en monnaie Locale. Le pass-through sera alors incomplet et le risque de change reporté sur le taux de marge de la firme » (Isabelle Méjean).
A partir de ces faits stylisés on est amené à reconsidérer l’hypothèse d’imperfection de l’information en faisant clairement la distinction entre les produits et services innovants dont les quantités et les prix font parti intégrante d’un business plan et les produits en cours, sur le marché. Les hypothèses relatives aux premiers sont conçues en pleine incertitude principalement en raison de l’imperfection de l’information ; ceci se traduit par une « intention » de rigidité des prix qui s’appuie sur un objectif de taux de marge imposé au moment du lancement de produit (voir l’article : De la relation investissement-prix en économie d’innovation). Dans un tel contexte les décideurs font preuve d’hésitations ce qui ralentit l’offre globale. Ainsi la théorie des échecs de coordination s’appliquerait plutôt aux produits d’innovation dont les quantités offertes et les prix ne correspondant pas à ceux de l’équilibre.
La réalité des marchés contemporains est celle d’un niveau de concurrence qui ne permet plus de fonder les modèles avec un mode de fixation des prix en monopole comme dans les modèles néo-keynésiens ; Cependant , le degré de concurrence doit être considéré au niveau des produits et non pas à celui de l’entreprise. Il est lié à la phase de vie des produits : faible au moment du lancement, forte en fin de vie. Les entreprises ont une relativement bonne connaissance des conditions de la concurrence vers leurs produits ; et leurs tâches consistent en une adaptation permanente en jouant avec le curseur des prix. On peut donc affirmer qu’elles sont plutôt preneuses de prix avec néanmoins une « intention » continue de maitriser les fluctuations de prix notamment en début de vie des produits, c’est-à-dire tant que c’est possible.
On doit également considérer que les ajustements des marchés ne sont pas aussi longs que ce que suggèrent les modèles keynésiens et néoclassiques. Ainsi les chocs sur la demande et sur l’offre sont donc moins importants que ce que concluent ces modèles.
Par ailleurs les techniques de management efficaces permettent de réduire les tâches de mise à jour des catalogues quelle qu’en soit la fréquence. Habituellement ces coûts de mise à jour des catalogues font parti des frais généraux proportionnels en pourcentage au chiffre d’affaire ce qui n’incite pas à réduire le nombre de mise à jour des catalogues. La théorie de la rigidité des prix liée aux mises à jour des catalogues ne nous semble donc plus très utile.
Bernard Biedermann
Conjoncture et Décisions
octobre 2010