L’obsession de l’équilibre général
Chapitre du livre « Les patrons sont-ils des mous ? »
Question posée à J.M. Keynes
Bernard Biedermann
(Le Publieur 2003)
Concernant le problème de l’équilibre général d’un système économique,force est de constater que les théories de l’équilibre général, malgré leur nombre et leur sophistication, n’ont pas vraiment dépassé le stade de la problématique. Elles ont sans doute bien identifié le problème, réussi à jongler avec des concepts qui gardent toute leur utilité en tant qu’outils, mais les questions initiales relatives à la stabilité du système et à l’unicité de l’équilibre font encore l’objet de débats. S’appuyant sur des modèles mathématiques, elles nous offrent une cohérence irréprochable mais aussi des interprétations qui laissent à désirer lorsqu’il s’agit de l’explication des phénomènes réels.
Au départ, il y a quelques hypothèses dont tout découle et qui, dans le cadre d’un modèle, sont appliquées à la lettre, de manière absolue et homogène. Entre autres, elles s’intitulent atomicité des agents (offreurs et demandeurs), concurrence pure et parfaite, homogénéité de comportement, maximisation du profit, fonction de préférence, perfection de l’information, rapidité des ajustements, absence de restriction à l’entrée et à la sortie du marché… Elles conduisent à un système en équilibre parfait (pas de chômage, pas d’inflation, pas d’invendu, pas de consommateur frustré, etc.).
Dans une première approche on est dans un système statique, c’est-à-dire qui n’intègre pas le temps. S’il s’agit d’expliquer le réel ou de dire ce qu’il faudrait faire pour revenir à une meilleure situation, on joue sur le non-respect de l’hypothèse x, y ou z, et l’on en déduit que pour que tel déséquilibre ne se reproduise plus il «suffirait » que soit changé le comportement des agents économiques. Dans les modèles de référence, il y a équilibre à chaque instant, il n’existe que des prix d’équilibre, il n’y a donc pas de phase intermédiaire pendant laquelle un processus permet aux offreurs et aux demandeurs de tester le marché par des offres et demandes notionnelles, il n’y a ni transaction ni production à prix de déséquilibre et le système évolue naturellement en toute stabilité. Ensuite, pour se rapprocher du réel, on tient compte de l’imperfection de l’information et du manque de coordination entre les agents, ce qui induit des déséquilibres sur les marchés et la nécessité d’introduire la monnaie en tant qu’elle permet de conserver de la valeur, de faire le lien entre présent et avenir et par conséquent d’avoir une influence sur l’économie réelle. L’économie de troc devient une économie monétaire dynamique. La multiplicité des déséquilibres complique évidemment les choses mais, on commence un peu à se rapprocher de la réalité. Suite à un déséquilibre entre l’offre et la demande, les prix s’ajustent à la hausse dans le cas d’une demande excédentaire positive et à la baisse dans le cas d’une offre excédentaire. Les modèles décrivent alors un système qui possède les forces lui permettant de revenir à un état d’équilibre ou, tout au moins vers un état dans lequel le nombre de déséquilibres diminue. La question est alors de savoir à quelle vitesse se fera ce retour vers moins de déséquilibres ; c’est le degré de perfection de l’information, par son action sur les ajustements de prix, qui permettra un processus de retour à l’équilibre plus ou moins rapide.
Forces de rééquilibre
Les économistes sont en général d’accord pour affirmer que, dans la réalité, les systèmes économiques possèdent des forces permettant des réajustements vers moins de déséquilibres ; rares sont les cas d’explosions de prix tendant vers l’infini ou vers zéro, rares sont les situations où le niveau de production chute sans limite. Mais sans aller jusqu’à ces situations extrêmes, il faut reconnaître que la faille des processus de rééquilibrage consiste dans le fait que l’on ne peut pas faire l’hypothèse, a priori et en toute connaissance d’une situation de déséquilibre à l’instant t, que les comportements seront tels que les courbes d’offres et demandes se croiseront à un niveau de prix prévisible à l’instant t + 1, c’est-à-dire juste après la première transaction en déséquilibre. Cette faille ne remet pas en cause l’existence des hypothèses du modèle car dans la phase d’ajustement il n’est pas interdit (par les hypothèses elles-mêmes) que les agents modifient leurs plans ainsi que les formes des courbes d’offre et demande. Cela est d’importance car le système économique serait alors très déterministe, ce qui n’est évidemment pas le cas. En d’autres termes, dans un système en déséquilibre les comportements de base sont susceptibles de changer plus que ce qui est présupposé en théorie.
L’équilibre n’est plus ce qu’il était…
À un niveau plus général les recherches théoriques intégrant les déséquilibres n’ont pas abouti à des conclusions définitivement précises. Comme on l’avait vu plus haut, l’état actuel des recherches sur ces modèles dynamiques ne fait pas l’unanimité pour :
• dire qu’à partir d’hypothèses identiques les modèles conduisent à l’existence d’équilibre ;
• savoir s’il peut y avoir un ou plusieurs équilibres ;
• prévoir si un système tend à s’éloigner ou se rapprocher de l’équilibre ;
• expliquer pourquoi il s’en rapproche ou s’en éloigne ;
• expliquer si l’équilibre implique la stabilité du système ;
• affirmer que l’incertitude génère l’instabilité ;
• préciser le degré de volatilité.
Ainsi le débat est loin d’être clos concernant ces sujets, qui passionnent les économistes.
Paramètres maudits
Dans son ouvrage très critique, La Théorie de l’Équilibre Général (Economica, 1999), Donald A. Walker analyse dans un chapitre dédié les notions de stabilité et d’unicité dans l’économie réelle. Dans un premier temps il pose la question de savoir comment un modèle statique peut décrire le passage d’un équilibre à un autre :
« Supposons temporairement, comme l’a fait T. Negishi (1962, p. 639), que l’économie réelle est en réalité en équilibre à un moment donné. Peut-on dire que si l’économie est déplacée de cette position légèrement ou de façon importante, elle pourrait se déplacer vers n’importe quel équilibre parmi de nombreuses possibilités ? La réponse est que si durant le déplacement, certaines circonstances sont changées de telle sorte qu’un nouvel équilibre est créé, alors l’économie se déplacera vers cette nouvelle unique position. L’ancienne position deviendra simplement une solution mathématique aux équations qui décrivent l’économie, ce qui est également la situation de toutes les autres solutions que les équations peuvent avoir. Les valeurs vers lesquelles l’économie se déplace sont totalement déterminées. Sa trajectoire est unique et si l’équilibre existe, il ne peut être autrement qu’unique. » Donald A. Walker affirme alors « qu’en fait, l’économie n’est jamais en équilibre statique. Puisqu’elle croît ou diminue constamment et est sujette à des changements paramétriques en permanence, on ne peut pas dire qu’elle retourne à un ancien équilibre statique. Si les paramètres changent, elle ira vers un point différent sur sa trajectoire de croissance équilibrée, et sa trajectoire est réelle et irréversible. Elle ne retourne jamais à un ensemble de valeurs de l’équilibre des variables.
Ce qu’on appelle les équilibres multiples dans la littérature sont en fait seulement des solutions multiples. L’indétermination de l’équilibre qui ne se produit que dans les modèles, est un phénomène mathématique et non économique et est le résultat d’une description insuffisante des caractéristiques structurelles et comportementales du modèle ».
D’autres économistes ont suggéré l’image suivante: à un extrême, il y a l’approche néoclassique de mécanisme des prix, qui fonctionne comme une horloge; à l’autre extrême, il y a une imprévisibilité d’évolutions des prix, comparables alors aux bouts de verre d’un kaléidoscope. Peut-on pour autant analyser la réalité en termes d’équilibre sous prétexte qu’elle se situe entre deux extrêmes? Cette brève description des caractéristiques structurelles et comportementales du modèle est au coeur de nos préoccupations notamment par rapport à l’investissement. Sur ce point, Donald A. Walker souligne qu’« à la différence de ce qui se produit dans l’économie réelle, un modèle peut être créé de telle sorte que s’il est déplacé de l’équilibre, il retourne au même équilibre.
C’est possible dans un modèle sans investissement net.
Dans l’économie réelle, pourtant, le stock de capital subit des changements continuels, entraînant bien d’autres changements continuels, et le système ne peut pas, par conséquent, avoir un équilibre statique à partir duquel il est déplacé. L’auteur est alors amené à proposer que « pour réaliser une vraisemblance dans les modèles, on devrait introduire plus de caractéristiques structurelles et comportementales ainsi que des conditions historiques pour faire en sorte que la trajectoire et l’équilibre du modèle soit déterminés comme c’est le cas en réalité. »
Dentelles mathématiques
Les quelques lignes qui précèdent ne montrent pas précisément à quel point le débat sur l’équilibre économique est loin d’être clos. Les chercheurs risquent encore de tourner en rond et de faire dans la dentelle dans des modèles mathématiques plus sophistiqués les uns que les autres. Pour sa part, Donald A.Walker propose de s’orienter vers les modèles fonctionnels, beaucoup plus empiriques, intégrant une multitude de particularités (institutions, technologies, lois et règlements, institutions financières…) qui sont trop souvent minimisés ou oubliés, quitte à reléguer en second plan la logique et l’excès de domination provenant des théories de l’équilibre général. Ainsi, il nous semble judicieux de citer ici le point de vue de Joan Robinson selon lequel « dès lors que l’on admet l’incertitude des anticipations qui guident le comportement économique l’équilibre n’a plus d’importance et l’histoire reprend sa place. » La question est finalement de savoir si la notion d’équilibre a encore un sens ou plus précisément, si le fait de comparer un état que l’on dit en déséquilibre par rapport à un état d’équilibre absolu peut faire l’objet d’une mesure réaliste. Lorsque l’on explique des déséquilibres par le fait que les agents du système n’ont pas pu coordonner efficacement leurs plans, on fait référence à un état d’équilibre qui aurait été atteint si les agents avaient pu se coordonner, mais on oublie de mesurer le nombre, la durée et le coût des actions qui auraient du être produites. En y réfléchissant de manière intuitive on se rend compte que vouloir combler l’écart entre la situation de déséquilibre et l’objectif d’équilibre est quasiment irréalisable sauf à imaginer, hypothèse d’école, que les entrepreneurs se transforment en administration économique en multipliant à l’infini leurs activités de marketing. On pourrait de même, intuitivement, essayer de localiser où se situe un marché sur une échelle de valeur du degré de perfection de l’information. Il y a de forte raison de penser que dans la plupart des marchés réels (à l’exception de marchés organisés, tel que celui de la bourse) on serait loin de la situation optimale correspondant à une information parfaite; pour s’en convaincre il suffit d’imaginer les tâches à réaliser par tous les agents pour collecter et redistribuer les informations nécessaires relatives aux courbes d’offres et demandes, quantités, prix, etc.
Plus généralement, la situation d’équilibre est conditionnée par le respect d’autres hypothèses concernant la structure du marché, la forme des courbes, l’optimisation du profit… Dans ces conditions, expliquer une situation dite de déséquilibres par le non-respect des recommandations formulées par les hypothèses nous semble être un objectif sans intérêt car le fossé entre les deux états est d’une telle importance que l’on ne peut donner un sens à sa mesure (si tant est que l’on puisse le mesurer autrement qu’intuitivement).
C’est pour ces raisons qu’il est préférable de décrire l’évolution d’une économie par une approche de scénario, où l’on privilégie les influences des conditions et des paramètres par rapport aux variables elles-mêmes, et ce relativement, d’une période sur l’autre, sans se préoccuper de savoir ce qui se passerait si les conditions étaient optimales. C’est également pour cette raison, que nous allons proposer une visualisation de l’économie en couches de fonctionnalités.
Dans le cas des théories classiques c’est un peu comme si l’on voulait expliquer le manque de performance passager d’un coureur de marathon sur un chemin très caillouteux ; qu’est ce que cela apporte de conclure qu’il aurait couru trois fois plus vite si le chemin avait été parfaitement lisse, sachant qu’il était trop tard pour le nettoyer ? Ne vaut-il pas mieux constater que le coureur est passé par ces difficultés et envisager les tenants et aboutissants pour expliquer le temps perdu et le déroulement de la course Il en est de même en politique économique. Les recommandations habituelles visant à améliorer le fonctionnement des marchés par plus de concurrence, plus de libertés décentralisées, moins d’impôts, etc., n’ont de valeur que si l’on précise par quelles étapes ces réformes doivent être appliquées, et dans quelles conditions on va agir sur le système pour le faire passer de situations dites de déséquilibres à des situations de plus d’équilibres. En d’autres termes la conception du scénario et les moyens envisagés sont beaucoup plus importants que l’objectif que l’on s’est fixé même si la notion d’équilibre doit demeurer la référence absolue bien qu’irréaliste et tellement éloignée. Dans le domaine plus général de l’incertitude face au déterminisme, Edgar Morin dans Terre Patrie définissait la stratégie comme « …la conduite raisonnée d’une action dans une situation et un contexte comportant incertitude et éventuellement dangers. Une stratégie s’élabore en fonction de finalités et de principes, envisage divers scénarios possibles du déroulement de l’action, choisit celui qui lui semble le plus adéquat selon la situation : tantôt il vaut mieux accepter un scénario qui minimise les risques mais également les chances, tantôt il vaut mieux choisir un scénario qui maximise les chances mais également les risques ». Et pour en revenir au concept d’équilibre, nous voudrions conclure en disant qu’il ne sert à rien de vouloir le définir de manière fine, rigoureuse, universelle et absolue, bien que, nous n’arriverons pas à en faire complètement abstraction. Il doit être analysé sans excès de rigueur comme un objectif flou, les actions pouvant y conduire sont susceptibles d’agir aussi en sens contraire et qu’il faut tenir compte de l’itinéraire des mécanismes comme nous le suggérons dans l’approche par couches.
Le balancier et les bretzels
À partir de la position d’un balancier en mouvement, lorsque l’on connaît sa masse, la longueur de la corde, l’attraction terrestre, l’angle formé avec la verticale et sa vitesse initiale, il est possible d’en déterminer la trajectoire future, sauf si bien entendu un autre objet vient le percuter. Une photo en deux instants t et t + 1 donne l’information requise et il n’est pas nécessaire de disposer d’une plage complémentaire de temps pour analyser le mouvement, (c’est-à-dire faire l’analyse des forces et dire si l’ensemble est un système d’équilibre). En économie, ce n’est pas tout à fait pareil. Lorsqu’un conjoncturiste du ministère des finances effectue des prévisions il se base entre autres sur des chiffres (PIB, agrégats prix…) de périodes annuelles, trimestrielles, mensuelles. Par un coup de baguette magique, réduisons à l’extrême ces périodes. En France le premier juin 2001 à 11 heures 5 minutes et 0 seconde, madame Muller a acheté à Mulhouse trois bretzels. À la même microseconde, le directeur de l’entreprise K.O. de Saint-Tropez a terminé le trait de sa signature sur le contrat d’embauche de monsieur Grigodengo. Ces deux transactions n’ont évidemment aucun lien de causalité entre elles. Le même jour à la bourse de Paris entre 10 h 05 et 10 h 06, des milliers de transactions ont été effectuées ; il y a de fortes raisons de penser que plusieurs transactions de bourse s’expliquent les unes par les autres. Dans la première semaine du mois de juin ont été signés d’importants contrats portant sur des dizaines d’avions, cette nouvelle a pu déclencher des achats indirects dans d’autres secteurs comme l’immobilier des particuliers. On pourrait ainsi de suite rallonger la durée, au mois, au trimestre, à l’année et au-delà, pour chaque période rechercher la causalité optimale entre les variables. Si l’on poursuit cette démarche, on se rend compte à quel point le concept d’équilibre général est lié à celui du temps. Mais selon les mécanismes, on doit découper le temps en périodes de durées différentes. Par ailleurs la théorie nous enseigne que plus un système tend vers l’état de déséquilibre général plus il est difficile de trouver des relations de causalité entre les variables qui le composent.
Rêve d’équilibre causal
On pourrait définir le concept d’équilibre comme étant ce qu’il y a dans une fenêtre de temps bornée à l’intérieur de laquelle le degré de causalité entre les variables est optimal. L’équilibre économique serait alors une fenêtre glissante de temps dans laquelle on mesure le degré d’explication entre les variables économiques. C’est dans cette fenêtre glissante qu’émerge le système économique en tant que quelque chose d’explicable. Les relations, la logique, les processus, les mécanismes se construisent, fonctionnent et deviennent équilibre ; au contraire, lorsque la durée de la fenêtre change ou glisse et que le degré de causalité chute, l’équilibre s’évanouit. Revenons à nos bretzels : dans la fenêtre du premier juin à 11 heures 5 minutes et 0 seconde, madame Muller a acheté à Mulhouse trois bretzels et le directeur de l’entreprise K.O. de Saint-Tropez a terminé le trait de sa signature sur le contrat d’embauche de monsieur Grigodengo, il n’y a évidemment aucun équilibre. Par un coup de baguette magique, agrandissons sur notre écran d’ordinateur la fenêtre jusqu’au 11 septembre 2000 à 12 heures et observons les jeux des relations de causalité qui apparaissent sur notre écran au fur et à mesure de l’extension. Les variables apparaissent les unes après les autres, les relations de causalités se précisent, s’intensifient puis évoluent… Nous l’avons vu plus haut, d’une situation de déséquilibre il n’est pas possible de déduire mathématiquement et systématiquement le nouvel équilibre, même si certaines configurations sont plus probables que d’autres. De surcroît, l’interdépendance entre variables introduit un nombre important d’effet retard, feed-back, etc.. Par exemple, une variation du taux d’intérêt exerce des influences sur toutes sortes de variables, sur la courte période et sur le long terme, avec des temps de latence qui diffèrent selon les secteurs et les agrégats. Pour ces raisons la découpe du temps dans le cadre d’une théorie de l’équilibre est, et a toujours été, un exercice particulièrement délicat, voire insoluble. Concernant les modèles appliqués, de type économétrique, nous faisons l’hypothèse que lorsque l’intensité de leur valeur explicative s’accroît, le système économique tend vers une configuration de plus d’équilibres et réciproquement, lorsque les variables du modèle perdent de leur valeur explicative entre elles, on supposera que l’économie entre dans une configuration de plus de déséquilibres, étant bien entendu qu’une situation de déséquilibres qui perdure n’est pas forcément instable comme dans le cas du déséquilibre de sous-emploi.
À titre d’illustration, le graphique suivant présente l’évolution du coefficient de corrélation entre l’investissement et la consommation.
Précisément les statistiques sont,
• pour l’investissement: la Formation Brute de Capital Fixe totale au prix de 1995, indices trimestriels INSEE Compte de la Nation;
• pour la consommation : celle des ménages pour les mêmes périodes.
Les coefficients de corrélation entre les deux variables sont calculés sur une période de 12 trimestres roulants: du premier trimestre 1978 au quatrième trimestre 1980 puis du premier trimestre 1981 au quatrième trimestre 1983 et ainsi de suite jusqu’au quatrième trimestre 2001.
Ce qui importe ce n’est pas tant le niveau de la corrélation (de toute façon une période de 12 données n’est pas suffisamment significative) mais son évolution dans le temps. Si l’on rapproche la courbe du coefficient de corrélation entre l’investissement I et la consommation C de celle de l’agrégat C + I, on constate que la corrélation se renforce en période de plus forte croissance.
Une interprétation plausible consiste à dire qu’en période de confiance et de certitude les entrepreneurs ajustent mieux leurs ressources aux besoins de la demande qu’en période de récession, pendant lesquelles les investissements bridés ne reflètent pas les anticipations mais les préoccupations financières ce qui correspond à des situations de « moins d’équilibres ».
C’est aussi infirmer le principe de l’accélérateur selon lequel les fluctuations de l’investissement induites par la demande sont beaucoup plus fortes que celle de la consommation. Mais il est vrai que ce principe exprime l’investissement est exprimé en valeur et la demande globale en taux de croissance, ce qui revient à expliquer une variable par une fonction dérivée; il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les fluctuations de l’investissement soient plus élevées que celle de la consommation. Par contre le multiplicateur Keynésien met en relation des valeurs incrémentales ; un accroissement de l’investissement entraîne un accroissement du revenu qui lui-même entraîne un accroissement de la consommation et de l’épargne tel que delta investissement = delta épargne.
Le fait que l’intensité de causalité évolue avec le temps n’est évidemment pas limité à la relation entre l’investissement et la consommation. L’effet du taux d’intérêt sur l’investissement est lui aussi susceptible de changer, ce qui rend l’analyse moins simple. Comme le soulignent Agnès Bénassy–Quéré, Laurence Boone et Virginie Coudert dans Les Taux d’intérêt (Coll Repères, La Découverte), « les difficultés rencontrées pour mettre en évidence un effet du taux d’intérêt sur l’investissement s’expliquent par le fait que cet effet varie au cours du temps. Ainsi, une étude sur le secteur manufacturier américain montre que l’élasticité de l’investissement au coût du capital est cinq fois plus élevée lorsque l’économie est en période d’expansion que lorsqu’elle sort d’une récession (Caballero, 1997) ».
L’évolution de ces deux relations (consommation – investissement et taux d’intérêt – investissement) confirme l’idée associant la notion d’équilibre à celle de causalité et souligne la nécessité de privilégier le rôle des conditions par rapport à celui des variables