Dans le Choc de 2006, Michel Godet envoie aux français, à tous les français, un avertissement cinglant : à partir de 2006, nous entrerons dans la période dans laquelle la part de la population active va décroître de plus de 800000 personnes par an. Les impacts sur le marché du travail seront considérables. Nous manquerons d’assistants aux personnes âgées, d’agents d’entretien, d’ouvriers qualifiés, de conducteurs de véhicules, de chercheurs, et bien sûr d’infirmières. Ces faits vont se traduire par une conjoncture molle contre laquelle l’état risque de ne pas être à la hauteur. De plus les effets négatifs des déséquilibres annoncés par les études démographiques seront malheureusement amplifiés par une multitude de maux et tares typiquement français, parmi lesquels,
– un système éducatif qui produit des formations inadaptées, trop généralistes, peu professionnelles,
– un budget trop lourd,
– une administration peu réactive, où règne le gaspillage et qui est pratiquement impossible à réformer,
– une politique sociale inefficace
– des familles dans lesquelles l’ambiance ne prédispose plus au sérieux requis par l’activité professionnelle.
Par des recommandations nombreuses et précises, Michel Godet dévoile son côté interventionniste. Si la mondialisation n’est pas responsable des maux dont souffre l’humanité, il faudrait néanmoins que l’OMC organise avec justice le libre échange. En revanche, les délocalisations sont une vertu de la mondialisation car » au tennis on progresse plus vite en jouant avec des joueurs classés ». Mais l’auteur convient qu’il faut protéger les identités locales, la défense, la culture, la sécurité,… , et bien sûr l’agriculture pour laquelle il faudra passer de l’aide au produit à l’aide aux producteurs, et rémunérer la qualité.
A propos du marché de l’emploi, le discours est plus classique, remise en cause de la rigidité des salaires, proposition du RMA et camouflet adressé aux keynésiens responsables de la sous-traitance, l’automatisation et les délocalisations. Les fonctionnaires eux, seraient un peu plus gâtés, à condition d’avoir atteint leurs objectifs grâce aux performances individuelles.
A l’égard des entrepreneurs Michel Godet est moins sévère ; Il leur demandera néanmoins d’être de meilleurs managers et d’être plus nombreux, «….. dans une société de confiance favorable aux entrepreneurs, …., des hommes éduqués, aptes à innover et à produire en termes d’intelligence compétitive et, enfin, un contexte propice où le libéralisme des marchés a été organisé dans le cadre de politiques publiques efficaces en matière de service publics , d’éducation , de transport, de sécurité et de santé ».
On le constate, le rôle de l’éducation demeure fondamental et c’est bien à la famille que Michel Godet réaffecte cette responsabilité en lui demandant de revaloriser la valeur travail et de produire des élèves studieux quitte à réouvrir les internats de province au profit des enfants des banlieues défavorisées. Moins anecdotiques, bien d’autres réformes au profit de la politique familiale et de l’organisation de la vie quotidienne sont suggérées.
Dans le domaine de la protection de l’environnement, Michel Godet doute de la véracité de l’influence de l’activité humaine sur l’effet de Serre ; peut être a-t-il raison. De telles affirmations ont l’avantage de lancer le débat mais il serait souhaitable que celui-ci demeure dans les mains des scientifiques même si certains « travaillent » pour une doctrine. Si demain on démontre scientifiquement que l’activité humaine n’est pas responsable de l’accroissement de l’effet de serre ( après tout il y a eu d’autres erreurs dans le domaine, comme celle des pluies acides ), on ne pourra écarter le risque de voir des firmes ou des états s’estimant libre de polluer comme ils l’entendent !
Mais revenons un instant au thème proprement économique, celui du choc que va connaître le marché de l’emploi à partir de 2006 :
Il nous semble que Michel Godet sous-estime la souplesse et la capacité du marché de l’emploi dans la mesure où il ne parle guerre du rôle du salaire en tant qu’il agit sur la demande d’emplois ; ou alors fait-il l’hypothèse que les salaires ne devront pas évoluer ? . Les exemples récents dans l’informatique et les télécoms montrent pourtant de fortes variations à la hausse comme à la baisse.
La question qu’il faudra alors se poser est de savoir quel sera l’écart entre l’offre et la demande d’emplois pour chaque métier. Le niveau de l’offre d’emplois est évalué par le nombre de postes à pourvoir suite aux départs à la retraite auquel on ajoute la tendance lié à l’activité du secteur. Du côté de la demande d’emplois, Michel Godet compte sur l’influence de la revalorisation de la valeur travail et sur l’efficacité des organismes de formation et d’information. Soit, mais il n’en reste pas moins que la clé de l’équilibre résidera dans la réactivité de la demande d’emplois aux hausses de salaire , car il faudra bien faire l’hypothèse qu’il y aura réajustement des salaires, ce que ne fait pas Michel Godet. Dans la conjoncture actuelle comprenant 2,7 millions de chômeurs, persiste un stock de postes non pourvus en grande partie à cause de leur manque d’attractivité. On pourrait donc s’attendre à des hausses importantes dans plusieurs secteurs. Les entreprises , ne pouvant répercuter les nouvelles charges auront des difficultés à maintenir leurs marges. Par ailleurs, les nouveaux actifs ressentant une certaine confiance due au fait qu’ils sont demandés par le marché auront tendance à ne pas épargner contrairement à ce que font les salariés en période d’incertitude. Parallèlement les nouveaux retraités qui voient leurs revenus baisser auront également tendance à augmenter leur propension moyenne à consommer.
Si l’on retient ces hypothèses, on peut alors imaginer le scénario suivant :
– forte propension moyenne à consommer,
– importante part des salaires dans la Valeur Ajoutée
– niveau d’investissement limité par les trésoreries des entreprises
– des choix d’investissement franchement orientés vers les gains de productivité
– un taux de chômage inférieur à celui d’aujourd’hui
Ce scénario est en quelque sorte optimiste ; ce qu’il faudra craindre, c’est une baisse importante du niveau des investissements engendré par un comportement d’Objectif de Taux de Marge élevé dont le but serait de rétablir des bénéfices amoindris par des salaires plus élevés. Par ailleurs Michel Godet limite ses analyses et recommandations au périmètre français alors que les problèmes sont identiques dans les autres pays d’Europe et que les marchés de l’emploi sont de plus en plus interconnectés.
Un autre aspect n’a pas suffisamment été abordé, celui du rôle des entrepreneurs. Aujourd’hui, on trouve tout à fait normal qu’une entreprise lance d’importantes campagnes de publicité ; mais il n’est pas encore dans la cultures des patrons français d’investir de manière massive dans le recrutement et la formation. Plus généralement les entrepreneurs français on encore cette tendance à négliger les anticipations et à attendre le dernier moment. On peut alors se poser la question de savoir si les retards habituels de la conjoncture française par rapport à celles des Etats Unis ou de celle de l’Allemagne ne seraient pas dus à cette attitude d’expectative.