Le MEDEF, ATTAC, le chômage et la planification

  Le MEDEF, ATTAC, le chômage et la planification
L’interview d’un expert sur la situation économique d’un pays à un moment donné est souvent décevante car les propos exprimés, le sont soit en des termes généraux, soit de manière mono-causal, c’est à dire en occultant ce qui est considéré comme élément secondaire. Ceci résulte du fait que l’économie est une chose complexe où règne en maître l’ interdépendance entre un grand nombre de variables. En outre, les convictions politiques et les présupposés idéologiques des uns et des autres s’immiscent subrepticement dans le discours. On comprend alors qu’il est difficile de décrire en quelques minutes ou quelques lignes une situation sans en avoir préalablement défini la terminologie et le périmètre. C’ est une des raisons pour laquelle l’économie passe mal auprès du grand public, et ce d’autant plus que sa diffusion se fait par le biais de débats entre politiques dont la rigueur « scientifique » est loin d’être l’objectif principal. Mais il vaut mieux découvrir notre domaine à l’occasion de débats sans nuance que pas du tout. On sait que les Américains ont l’habitude de dire de l’économie que c’est la  » science des tristes ». Nombre de manuels d’économie, truffés d’équations mathématiques sont bien moins vivants que l’émission Riposte de LA 5 à laquelle participent des experts dans une ambiance émotive qui ne laisse guère place à la méthode.
Toutefois, dans la saine et sympathique pagaille de l’émission de Serge Moati de bonnes questions arrivent quand même à émerger. Ainsi dans la dernière émission de septembre, avec un représentant du MEDEF, avec l’économiste Elie Cohen et quelques politiques, le téléspectateur a bien compris que si le niveau des investissements effectués par les étrangers en France était satisfaisant, les Français ne sont toujours pas assez présents à l’étranger ( dixit le représentant du MEDEF ) et que se pose aussi la question des emplois à forte valeur ajoutée des nouvelles technologiques dont la faiblesse inquiète Elie Cohen. D’où la question, les patrons français sont-ils bien à la hauteur ? . Leurs canines ne seraient- elles pas assez aiguisées pour croquer la viande rouge des marchés émergents ? Si des étrangers investissent en France, c’ est qu’ils pensent pouvoir en retirer des bénéfices. La France serait-elle donc plus attractive que ne le laissent penser les représentants du MEDEF. Ces derniers se polarisent depuis des années sur le niveau des charges salariales mais restent
insensibles aux nouvelles technologies qui justement génèreraient des gains de productivité du travail. Ne faudrait-il pas être plus exigeant à l’égard de nos dirigeants en matière d’investissement productif, ou bien alors nos patrons sont-ils des mous ?
Il n’est pas facile de traiter en une heure d’émission de tels sujets mais il y a aussi et malheureusement des
exceptions ; En 242 pages , dans « Le développement a-t-il un avenir ? Pour une société économe et solidaire » ATTAC ne réussit pas à exposer le système économique qu’elle propose pour répondre aux problèmes d’environnement, de gaspillage et d’appauvrissement liés à la société capitaliste actuelle. On y traite beaucoup de production, mais pas un mot sur le processus de décision en matière d’investissement productif des entreprises et encore moins en matière de consommation ! S’ agit-il d’un oubli ? Ou d’un camouflage du retour de la planification autoritaire, y compris pour les consommateurs ?
Peut être s’agit-il d’une troisième voie dont on attend avec impatience la présentation.
Il est fort probable que le thème de la planification revienne à la mode dans les années à venir et ce pour quatre
raisons essentielles : Les contraintes liées à la protection de l’environnement, la perception que le libéralisme n’a pas réussit notamment dans les régions touchées par un chômage à 2 chiffres, les futures élections européennes et enfin la perspective d’une nouvelle ( et dernière ) crise du pétrole dont les experts nous disent aujourd’hui qu’elle est plus proche que ce que l’on pensait. Cette dernière hypothèse se fonde semble-t-il sur des analyses techniques beaucoup plus fiables que ne le furent celles des années 70 au moment du premier choc pétrolier. On n’anticipait à l’époque des réserves que pour 30 ans. Mais l’erreur est humaine et s’il faut reparler de planification il y aura là aussi difficulté à organiser le débat. Une fois de plus Serge Moati pourra s’arracher les cheveux. Car la notion de planification n’est pas binaire. Entre le néolibéralisme le plus extrémiste et la planification à la soviétique il y a toute une échelle sur laquelle chacun devrait  se positionner et préciser qui fait quoi, comment, avec quels moyens et quel degré de liberté. Beau débat en perspective.
Mais ce qui a changé par rapport à l’époque soviétique c’est la complexité des produits et services qui sont fabriqués et vendus. Si à l’époque il n’était pas trop difficile de planifier des pommes de terre ou du charbon même sans ordinateur (car Staline ne voulait pas de cette technique provenant des USA) il serait complètement illusoire de vouloir se lancer aujourd’hui dans une telle aventure même avec des ordinateurs de la taille d’une ville. Il serait bon de rappeler que le système soviétique s’est effondré non pas seulement pour des raisons politiques, de liberté individuelle, etc, mais surtout parce que son fondement économique ne fonctionnait pas. S’il a pu tenir pendant quelques décennies c’est grâce au marché noir qui jouait le rôle d’une soupape avec son cortège de corruption, d’inégalité et de criminalité. On n’en est plus là aujourd’hui, mais si l’on atteint le plafond de production du pétrole et que son prix s’envole, faudra-il alors faire confiance au marché ou bien envisager une intervention contraignante des états ?
En cette rentrée 2004, parait la nouvelle édition du livre « Le Chômage » de Jacques Freyssinet (La Découverte). Clair, complet et synthétique, cet ouvrage devrait faire partie de la bibliothèque de tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’économie. Une remarque cependant ; Elle concerne la relation entre la croissance et l’emploi. Jacques Freyssinet précise à juste titre que « pour tous les pays et pour toutes les périodes, il existe une corrélation positive forte entre la production (le produit intérieur brut au niveau national) et l’emploi. ». L’auteur affirme par ailleurs que « si le taux de chômage est globalement lié au rythme de la croissance dans chaque pays, il est en revanche impossible d’établir des corrélations stables entre le taux de chômage et les principales grandeurs macroéconomiques ». Le paradoxe de ces deux relations tient au fait que « le chômage n’est pas un solde résultant de la détermination séparée du niveau de l’emploi et de celui de la production active. Emploi, chômage et inactivité sont liés entre eux par un réseau d’interdépendances ». Voici donc des affirmations qui pourraient alimenter les réflexions d’un débat sur la croissance actuelle de l’économie américaine qui ne crée pas d’emploi. Nous suggérons un axe complémentaire ; l’économie américaine n’a-t-elle pas accumulé
ces dernières années un potentiel de gain de productivité tel que la reprise de l’emploi nécessiterait un taux de croissance bien plus fort ?

Bernard Biedermann
Conjoncture et décisions
https://www.theoreco.com
Octobre 2004

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