Objectif de taux de marge (OTM), Taux de rendement Internet taux d’intérêt
Chapitre du livre « Les patrons sont-ils des mous ? »
Question posée à J.M. Keynes
Bernard Biedermann
( Le Publieur 2003)
L’objectif de taux de Marge OTM, devrait être intégré en tant que variable agissant à la fois sur les évolutions de court et de long terme. Sa valeur est celle des moyennes pondérées des objectifs de taux de marge de tous les projets d’ investissement. C’est une variable de comportement de décision. Elle est à la fois variable explicative et résultante. À tout moment le niveau de l’otm est conditionné par le degré d’incertitude relatif aux anticipations et par la situation financière des entreprises, c’est-à-dire qu’il possède une composante tournée vers le futur et une autre issue du passé. La situation financière est particulièrement influente en période de récession avancée, lorsque les marges des entreprises sont faibles, lorsque le taux d’endettement est encore élevé ou que l’on anticipe une remontée des marchés financiers à partir d’un niveau faible. L’incertitude étant la cause essentielle de l’otm, nous ne retiendrons pas d’autres variables explicatives issues du passé, car ce serait contradictoire puisque l’incertitude naît justement quand le futur ne peut plus être extrapolé à partir du passé. L’action de l’otm sur les investissements est simple: il agit comme un filtre sélectif.Si à un moment donné tous les entrepreneurs s’imposent le même otm, par exemple 8 %, cela signifie que tous les projets d’ investissement dont le tri est inférieur à 8 % verront leur décision abandonnée ou reportée. L’incertitude relative à l’ activité économique est évidemment fluctuante. La situation financière de l’entreprise aussi. Il est donc naturel de définir l’otm comme une variable faisant partie intégrante de la conjoncture. En période de forte incertitude, lorsque les entrepreneurs s’imposent un otm élevé, les projets d’investissement subissent un effet de filtre. Ne sont alors retenus que
les projets d’investissement à forte rentabilité. À ce stade de la définition il convient de reconnaître qu’il y a apparemment incohérence, du fait que l’otm sélectionne les projets à haute rentabilité alors que la mesure de la rentabilité des investissements devient impossible : comment comparer deux valeurs lorsqu’une des deux n’est pas mesurable ? En réalité les investisseurs fondent leurs décisions sur des valeurs peu précises orrespondant aux taux de marge les plus élevés qu’ils ont pu connaître dans le passé et imposent ainsi un otm qui fixera «la barre haute». Mais il faut admettre alors que ces comportements se rencontrent à l’intersection du
raisonnement rationnel et de l’intuition.
Influence de l’otm sur les taux d’intérêt
Au niveau global, le niveau d’investissement ne résulte plus uniquement d’une comparaison entre les taux d’intérêt et le tri. Un otm élevé exercera une pression à la hausse sur les taux d’intérêt, l’incertitude gagne également les banquiers, quianalysent un otm élevé comme un signe supplémentaire de risque les conduisant à être fermes sur le taux de prêt. Il y a donc une situation paradoxale où la baisse de la demande de prêt n’agit plus sur les taux d’intérêt comme on devrait s’y attendre s’il n’y avait pas eu cette pression exercée indirectement par l’otm sur le système bancaire. Les taux coûtsLes taux d’intérêt constituent un coût intégré dans le business plans des investisseurs, ce qui devrait influencer à la baisse le niveau des investissements. En période d’otm élevé, lorsque les projets retenus présentent une forte rentabilité, la part relative du coût lié au taux d’intérêt s’avère faible par rapport à la marge escomptée et l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt en tant que coût est faible. Autrement dit, on est dans une situation où une politique de baisse des taux ne serait guère efficace, d’autant plus qu’elle risquerait d’être perçue par les entrepreneurs comme la confirmation que, selon les prévisions globales des gouvernements, la situation doit aller en se dégradant (à supposer que les entrepreneurs fassent confiance aux prévisions officielles).Si par ailleurs cette configuration se produit à l’issue d’une période plus longue au cours de laquelle la situation financière des entreprises s’est dégradée il y aura de surcroît une demande de crédit se substituant à l’autofinancement. Cette demande de monnaie qui est en fait une demande de précaution et de transaction n’est pas non plus de nature à réduireles taux. Certes, des sondages réalisés auprès des chefs d’entreprises disent que « 79 % des interrogés pensent qu’il est
nécessaire, en ce moment, de réduire les taux d’intérêt afin de soutenir l’activité économique » mais à la question « une baisse des taux d’intérêt inciterait-elle les industriels à engager des développements supplémentaires ? » il est répondu que « le niveau des taux agit bien entendu sur le coût d’un investissement financé par crédit, mais il ne détermine pas la décision elle-même, ni son calendrier. Nous l’observons au Japon : les taux à court terme se situent à 1 %, mais ce seul fait ne suffit pas à relancer l’investissement. » (La Tribune du 19 juin 2001, p. 12.) Pour ce qui concerne les taux en tant que coût, on peut alors se demander si l’entrepreneur interrogé n’est pas enclin à dire que les taux d’intérêts sont un frein à l’investissement dans la mesure où il suffit d’une décision de la banque centrale pour améliorer automatiquement la situation
financière, ce qui ne peut être le cas avec les prix des produits sur des marchés très concurrentiels. En d’autres termes on peut agir sur les taux de manière opérationnelle mais pas sur les prix quand ils sont imposés par le marché.
Ce principe de réalité opposé à quelque chose que l’on puisse modifier incite sans doute l’entrepreneur interrogé à exagérer l’influence que pourrait avoir une baisse des taux. Il faudrait néanmoins nuancer cette affirmation par le fait que la réponse peut aussi s’appliquer aux effets d’une baisse des taux sur le niveau de la consommation.Cette attitude « politique » de l’interviewé s’était à notre avis également manifestée avant la reprise des années 95, lorsque le patronat accusait le niveau des charges sociales d’être un frein à la reprise alors que, une fois la reprise bien amorcée, le sujet a été en partie éclipsé. Il n’est pas question ici de juger le bien fondé des revendications patronales mais d’insister sur la difficulté de l’interprétation d’une réponse car on peut, dans l’esprit de l’entrepreneur, baisser les charges facilement alors que remonter une marge financière est une autre affaire.
Objectif de taux de marge et répartition des revenus
La reconstitution des marges financières que l’on constate en période de reprise est due, en partie, à la reprise de la consommation (meilleure résistance des prix à la baisse + accroissement des quantités) mais aussi à un otm élevé qui mois après mois, par le biais d’une sélection sévère des projets, rétablit le rapport marge global/coût global. Pour certains, les taux d’intérêt élevés influencent directement le partage entre salaires et profits au détriment des salariés en raison des coûts financiers qui incitent les entrepreneurs à augmenter leurs marges. Ils évoquent alors le renversement de conjoncture à partir de 1980 où l’on constate une chute régulière des taux puis une importante croissance du ratio profits /marge salariale. En tant que coût, les taux ont certes joué, mais avec d’autres variables. Les coûts salariaux baissent à partir de 1980 (Séries Longues, insee), grâce à des investissements de productivité et à cause de l’influence du chômage sur les salaires, mais sans doute aussi parce l’on ne décide alors d’investir que dans des projets très rentables. Il nous semble donc que l’explication de l’amélioration du ratio profits/marge par la baisse des taux devrait être nuancée.
Rentabilité exigée dans les années 1993-96
Il y a eu avant la reprise de 1997 une amélioration financière réelle fondée sur des investissements profitables sélectionnés et par conséquent limités en volume. Pendant la période que nous évoquions et aussi de 1995 à 1997 on constate une période de faiblesse de l’investissement. Dans un chapitre intitulé La faiblesse de l’investissement depuis 1993 reste en partie inexpliquée (L’Économie française. Édition 1999-2000, p. 54 et sq.) l’insee explique que « les entreprises se sont donc souvent limitées aux investissements qu’elles pouvaient autofinancer. Les investissements réalisés ont alors été des investissements particulièrement rentables » ; l’influence des taux qui à cette époque étaient très élevés semble alors réelle ; l’insee reconnaît « cependant, que, malgré la baisse des taux à partir de 1995 et l’assainissement de la situation financière des entreprises, perceptible au niveau macroéconomique,l’investissement est demeuré faible jusqu’au deuxième
semestre 1997. Il est possible que les entreprises, fortement marquées par la période récente de fragilité financière, aient continué à se conformer à des normes d’endettement restrictives. » (Artus, 1998.) Ce sous-investissement s’est traduit par le fait qu’une part importante des marchés n’était pas adressée ; on ne peut donc pas dire que le niveau de la demande potentielle est insuffisant. Cette interprétation est indirectement confirmée par l’étude de l’insee Les effets des allégements des charges sur les bas salaires in Économie et Statistiques. 2001, n° 348) : « les créations d’emplois trouvent aussi leur origine dans le développement des débouchés liés aux baisses de prix, elles-mêmes permises par la réduction des coûts de production. » La baisse des charges a permis de baisser les prix, d’augmenter la demande et de maintenir le niveau de marge. La reprise de la consommation des ménages à partir de début 1997 est en partie induite par l’effet revenu résultant
d’une conjoncture favorable aux revenus avec une hausse des salaires supérieure à 2 % depuis début 1996, alors que les prix n’augmentaient dans le même temps que de 1 % et que le taux marge des sociétés (excédents bruts d’exploitation dans la valeur ajoutée) passait de 32 % à 34 %. Une telle situation, qui ne s’était pas produite depuis 1992, a duré trois ans. Dans la mesure où le chômage n’avait pas encore commencé à diminuer (il ne baisse qu’à partir de 1998), on peut en déduire que la reprise de la consommation résulte plus d’un effet revenu (mais aussi du niveau de confiance) que d’une baisse du chômage. Le principe d’une marge imposée a fait l’objet de vérifications empiriques et, comme le rappel Snowdown, Vane et Wynarczyk dans La pensée économique moderne (Édiscience, 1997), « les premiers résultats semblent confirmer les explications keynésiennes qui reposent sur l’échec du mécanisme de coordination, la fixité des prix par l’application d’une marge aux coûts et les contrats implicites ». Nous voudrions ici suggérer que cette application d’une marge aux coûts soit bien une pratique réelle, mais que toutefois il ne s’agit la plupart du temps que de coefficients multiplicateurs destinés à tenir compte de différences de risque associées à un produit. Il peut s’agir des risques liés aux monnaies, aux différents canaux de distributions ou aux niveaux de coûts par régions géographiques. Mais on voit que l’application de cette marge n’est pas un objectif de taux de marge par le fait que dans le cas de l’otm, il n’y a pas eu de confrontation sur le marché.
Actionnaires de tous pays !
Une autre interprétation de la hausse de la profitabilité du capital est l’exigence accrue des actionnaires. L’
internationalisation des marchés financiers aurait contribué à diffuser des normes de rentabilité plus élevées, celles en vigueur dans les pays anglo-saxons. Les grandes entreprises françaises auraient ainsi été incitées à limiter leurs investissements à ceux offrant les meilleures perspectives de rentabilité. L’insee affine son analyse et étudie l’impact des taux élevés sur l’investissement par le processus de négociation entre entrepreneurs et banques. Il y a une asymétrie qui porte sur deux aspects différents de la relation entre emprunteurs et prêteurs. D’une part les prêteurs sont moins bien informés que l’entreprise qui emprunte sur la situation réelle de celle-ci et sur le caractère plus ou moins risqué des projets qu’elle veut financer. Les prêteurs sont amenés de ce fait à intégrer dans le coût du crédit une prime de financement externe qui reflète les risques de non-recouvrement. Les vérifications économétriques faites par l’insee confirment que les entreprises peuvent d’autant plus facilement se financer à l’extérieur qu’elles offrent de bonnes garanties. Ces faits constatés: faiblesse de l’investissement malgré la baisse des taux (qui a été spectaculaire entre 1993, avec un taux réel,
corrigé de l’inflation, de plus de 11 % et en 1995 de l’ordre de 4 %), exigence de taux de profit par les actionnaires et intégration d’une prime de risque nous conduisent à faire l’hypothèse de l’influence d’un l’otm élevé sur cette période, c’est-à-dire correspondant à une incertitude non négligeable.
Par ailleurs, la surcharge de coût due aux taux élevés a sûrement une influence sur les décisions d’investir, mais les prêts ne sont accordés qu’aux entreprises qui offrent de bonnes garanties, celles qui présentent des business plans rentables dans lesquels la part relative des frais financiers s’avère supportable. Dans cette dernière hypothèse, l’influence du niveau des taux et de la prime doit donc rester marginale et si comme nous le suggérions plus haut l’incertitude induit un tri entaché d’erreur (sur la quantité et sur les prix), le poids de la charge financière, même s’il est le seul élément précisément mesurable, risque d’être noyé dans des valeurs floues.
Lorsque l’otm disparaît
Poursuivons notre analyse, car avec le temps et une conjoncture qui s’améliore, le comportement des investisseurs change. Ce qui précède décrivait une évolution dans laquelle coexistent incertitude
et activité économique faible, mais lorsque le niveau d’activité s’élève progressivement, le degré d’incertitude tend à disparaître ; notons néanmoins que l’association incertitude plus forte/activité n’est pas pour autant à exclure, c’est au contraire une situation aux signes avant-coureurs intéressants. Quand l’otm se
réduit, on tend vers une situation où le niveau des investissements va véritablement être déterminé par comparaison entre le tri et les taux d’intérêts réels, ce qui se rapproche de la situation décrite par le modèle keynésien. Précisons cependant que dans le modèle keynésien la notion d’incertitude n’est évidemment pas complètement exclue, la notion de tri intégrant un risque futur mesuré. Mais parce que la certitude s’est renforcée, que la contrainte de l’otm ne se justifie plus, on évolue vers une conjoncture d’abord favorable, puis critique, à cause d’un excès d’optimisme voire de laxisme qui tend à laisser passer des projets à faibles rendements. On entre alors dans une période de surinvestissement et de surproduction dans laquelle le tri n’a pas joué son rôle avec efficacité.
L’OTM amplificateur.
Si l’on retient l’hypothèse de comportement avec otm, il faut alors se demander si ce dernier n’agit pas aussi comme un amplificateur, par filtrage ou au contraire par laisser-faire excessif. Il y aurait alors une influence de l’otm sur le degré de volatilité du niveau de l’investissement; ce point fait l’objet du prochain chapitre.