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Principe de la demande effective chez Keynes
Chapitre du livre « Les patrons sont-ils des mous ? »
Question posée à J.M. Keynes
Bernard Biedermann ( Le Publieur 2003)
Rappelons tout d’abord que l’expression » demande effective » résulte d’une mauvaise traduction de « effective demand » ; En toute rigueur, la bonne traduction aurait du être « demande efficace ». Le mot efficace devant alors être pris dans le sens « qui a de l’effet sur « . En effet, la spécificité de la demande effective est qu’elle est une variable explicative déterminante du niveau de l’emploi, « Nous appellerons demande effective le montant du « produit » attendu au point de la courbe de la demande globale où elle est coupée par celle de l’offre globale. Ceci constitue l’essentiel de la Théorie Générale de l’emploie…… » (TGE page 53 Payot).
La demande effective est une valeur anticipée par les entrepreneurs. Son horizon est plutôt celui du court terme. Elle prend toute sa justification dans une économie monétaire où règne incertitude et imperfection de l’information. Dans le cadre de la Théorie Générale elle marquait une différence avec l’approche des économistes classique qui comme Walras privilégiaient les mécanismes de prix et de salaires pour expliquer les conditions de retour au plein emploi.
Sur les marchés, se confrontent non pas la demande effective en face de la production anticipée, mais ce que l’on nomme la demande signalée. Cette demande signalée (qui elle, est effective au sens français du terme) est fonction du revenu et par conséquent limitée. C’est une demande solvable qui découle des revenus liés au niveau de l’emploi lui-même déterminé par la demande effective.
Par rapport à l’approche en couches de fonctionnalités, le principe de la demande effective nous conduit aux remarques suivantes :
L’interprétation de la réalité par le principe de la demande effective devrait selon nous être nuancé lorsque l’on se situe dans le court terme. En fait, les mécanismes d’anticipations au niveau des entreprises nous semblent moins forts que ce que l’on pourrait penser à la lecture de la Théorie Générale. L’ajustement du niveau de l’emploi se réalise beaucoup plus au vu des résultats. Certes, on objectera que l’entrepreneur, qui ne s’adonne pas à l’exercice des prévisions pour déterminer le niveau des ressources en main d’œuvre, fait implicitement des anticipations car en ne modifiant pas le niveau de l’emploi il assume le fait que la demande future sera reconduite égale à celles des résultats récents. Quoiqu’il en soit, on ne peut parler dans ces cas de préoccupation axée vers l’avenir.
Par ailleurs, les clauses de durées des contrats de travail de nos économies modernes ne permettent pas d’ajustements en temps réels. A cela s’ajoutent les coûts et la durée des recrutements ou des licenciements. D’une manière plus générale, il n’est pas sûr qu’une plus grande flexibilité des procédures de recrutement ou de licenciement engendrerait un comportement tel que le niveau de l’emploi serait directement fonction de celui de la demande effective. Ceci en raison des difficultés liées aux prévisions et parce que les entreprises offrent plus de souplesse d’organisation que ne le pensent habituellement les économistes, même si comme nous l’avons supposé plus haut le rapport capital / travail des économies modernes est relativement rigide, essentiellement pour des raisons techniques. Dans les faits cette souplesse, peut se traduire par des efforts supplémentaires et temporaires ou au contraire par des périodes de relâchement. Pour ce qui est de l’usage habituel des prévisions, il faut reconnaître qu’elles sont avant tout destinées à la gestion des quantités, stocks, et conditions de prix. En définitive, ces quelques remarques nous conduisent à ne pas attribuer à la demande effective l’entièrement responsabilité des variations du niveau de l’emploi sur le court terme.
Sur le long terme, les choses sont différentes. Keynes développe, l’idée que c’est » l’état de la prévision à long terme » qui détermine l’efficacité marginale du capital et donc le niveau de l’investissement anticipé. Dans ce chapitre et à l’occasion d’autre réflexion sur la prévision, Keynes est convaincant sur le principe des anticipations, mais il ne décrit un entrepreneur que superficiellement impliqué dans la démarche des prévisions de long terme. Certes il s’agit d’un discours théorique et donc général mais dans la réalité, la question des prévisions sur le long terme ou plus concrètement la décision d’investir sont de véritables préoccupations. Qu’il s’agisse d’une PME ou d’un grand groupe ce genre de décisions ne se font pas par automatisme ni en jouant aux dés ? Il y a une réflexion importante en terme de coûts et de temps passé. Ceci se traduit concrètement par des modèles de prévisions dont le degré de précision et de rigueur sont à la hauteur des sommes engagés. Certes ces modèles se trompent parfois, mais ce qui est important de noter c’est leur degré de détails et de précisions ; ce qui n’apparaît pas dans les propos de la TG. Dans ces conditions on est alors tenté de faire l’hypothèse d’une relation de causalité entre les valeurs anticipées (Quantité x prix des biens produits + valeurs des équipements concernés par ces produits) et le niveau de l’emploi qui découleront de ces décisions d’investissement (ou de désinvestissement). Nous rejoignons donc ici le principe de la demande effective qui sur le long terme serait alors influente.
Nous suggérons néanmoins d’introduire une nuance complémentaire relative à une hypothèse que Keynes formule dans une note de la Théorie Générale (Note 2 page 52 Payot) : « Un entrepreneur ayant à prendre une décision pratique relative à son échelle de production ne fait évidemment pas, au sujet du « produit » éventuel de la vente de chaque volume de production, une prévision unique exempte d’incertitude, mais plusieurs prévisions incertaines plus ou moins probables et précises. Lorsque nous parlons de sa prévision de « produit », nous entendons la prévision de « produit » qui, si elle était faite avec certitude, lui inspirerait la même attitude que le groupe de possibilité vagues et différentes qui composent en fait l’état de sa prévision quand il prend la décision ». C’est cette hypothèse relative à l’incertitude que nous avons soulevée par l’introduction du comportement d’OTM ( Objectif de Taux de Marge )encadré dans le concept de la couche transformation. Particulièrement dans nos économies modernes où les produits ont des durées de vie courte, les investissements concernent des projets de produits nouveaux qui n’ont pas été confrontés sur leurs marchés ; Les entrepreneurs ne peuvent donc pas fonder leurs calculs sur des demandes réelles passées comme ils le font dans l’optique de la demande effective de Keynes. Dans la Théorie Générale, il est fait implicitement l’hypothèse que même sur le long terme les produits ne changent pas ; Keynes parle en effet d’augmenter le stock de capital productif ou de procéder au remplacement d’équipements usés alors que dans la réalité, le lancement de nouveaux produits, d’une nouvelle gamme impliquent le changement complet du type de machine.
L’affirmation selon laquelle l’attitude de l’entrepreneur en situation de certitude totale ne changerait pas nous conduit à préciser que dans le modèle keynésien l’hypothèse retenue est que l’incertitude existe d’une manière figée ce qui se traduit par des anticipations « données ». Pour dérouler le schéma d’ensemble, Pascal Combemale (Introduction à Keynes, Repères, La découverte, P 42), suppose que « l’état des anticipations est donné et prend la forme de conventions qui fournissent le cadre sans lequel aucun calcul économique ne serait possible. Si on levait cette hypothèse, pour tirer toutes les conséquences de l’incertitude radicale, il ne serait en effet plus possible de raisonner à partir de fonctions supposées stables comme nous besoin de le faire…… »
Dès lors que l’on abandonne l’hypothèse de la constance de l’incertitude, les données deviennent instables et les fonctions inopérantes car éphémères ; d’où la nécessité de privilégier une approche des conditions comme nous tentons de le faire dans l’analyse par couches de fonctionnalités.