Réindustrialisation de la France : des questions, des pistes et de l’espoir

 

Conjoncture et décisions                    Bernard Biedermann            http://www.Theoreco.com 

Réindustrialisation de la France : des questions, des pistes et de l’espoir

                   Mars 2023

   

 

 

Réindustrialisation de la France : des questions, des pistes et de l’espoir

 

      Dans les milieux politiques et économiques, on est aujourd’hui bien convaincu que l’économie française devrait se réorienter vers beaucoup plus d’industries. C’est un changement souhaitable pour que notre économie se rapproche de l’équilibre, mais ce serait une tâche de long terme, entre autres parce que la dé-industrialisation s’est réalisée sur pratiquement quatre décennies. Pour faire un constat et donner des explications de la situation actuelle, les chiffres de la comptabilité nationale sont plutôt fiables. En revanche pour construire une nouvelle politique, et faire le choix des secteurs qui pourront se développer et sous quels délais, la méthode s’avère plus délicate car l’environnement économique est aujourd’hui en pleine révision. On pourrait alors se pencher sur les chiffres du commerce extérieur du fait qu’ils représentent une mesure de nos forces et de nos faiblesses.

 

                                                                            Bref constat statistique

De 1975 à 2018, la part de l’industrie dans notre PIB est passé de 25 % à 10 %. Ces 10 % correspondent à deux fois moins qu’en Europe, avec comme impact, un taux de chômage élevé et une croissance des revenus par habitant très faible, juste devant la Grèce.

                                                                            Des causes bien établies

Après les trente glorieuses, on s’est laissé convaincre et on a abusé de l’idée selon laquelle les économies en croissance se destinaient de manière irréversible vers une forte tertiarisation. Cette attitude politique pro-col blanc est en partie responsable, des fermetures d’usines liées à des délocalisations, et d’une compétitivité moins bonne que celle de nos voisins européens à cause des niveaux de charges et des impôts, et d’un manque d’adaptations aux nouvelles conditions de la concurrence mondiale. A cela s’ajoute, dans l’industrie qui a pu se maintenir en France, une forte croissance des productivités des facteurs de production, ce qui a eu pour effet des baisses de prix et donc une part décroissante du pourcentage dans le PIB. Il y a également des facteurs sociologiques absents en France, comme par exemple la fierté du « made in Germany ».    

                                                         Les réussites d’autrefois et les conditions actuelles

En France, on a néanmoins réussi d’importants développements dans les télécoms, le nucléaire et l’aéronautique. Les télécoms se sont ralenties avec le minitel car on n’a pas investi dans l’internet, l’aéronautique se porte bien, mais pour le nucléaire on est dans une situation de transition pour encore 4 ans. Il convient de noter que ces réussites avaient été conçues, organisées et gérées en grande partie par l’état. De nos jours les choses ont bien changé : mondialisation, règlementations européennes, numérisation, stratégies fortement déterminées comme en Chine pour l’automobile électrique, ….

La Covid et le conflit en Ukraine ont complètement modifié les conditions des échanges internationaux. Les risques intrinsèques à toute transaction internationale remontent dans les critères de décisions. Alors on se pose la question de la relocalisation en France, ou de nouvelles délocalisations dans plusieurs pays avec pour objectif de minimiser les risques de ruptures logistiques.

Bien évidemment, la relocalisation des mines, celle de la grosse industrie métallurgique voire même de l’industrie des gros équipements est difficile à concevoir. La réindustrialisation ne peut se concevoir sur des extrapolations du passé. Parmi les relocalisations, citons par exemple cette industrie d’électronique produisant des semiconducteurs pour la fabrication dans l’industrie automobile française (PSA avait dû arrêter sa production par manque de ces produits). Par ailleurs la fragmentation internationale des processus de production constitue un facteur de compétitivité, avec une grande difficulté d’identifier l’origine des produits, ce qui peut remettre en cause l’esprit du « made in France ».   

 

 

                                                                Commerce extérieur

Le problème de la part de l’industrie dans le PIB peut, en partie, s’expliquer par les soldes de la balance commerciale. Les quelques chiffres (1) qui suivent nous permettront de nous faire une première opinion. Il y a eu cependant, en 2021 un déficit important dû en grande partie aux hausses des prix des importations de l’énergie et des hydrocarbures. En 2022 le déficit s’est encore considérablement dégradé.

En 2021, la France est le 6eme exportateur au niveau mondial. 135900 sociétés françaises exportent 501 milliards de biens. Le montant des importations est de 586 milliards de biens, soit un déficit extérieur de 85 milliards. Du côté des services, le solde est positif : 257 milliards -221 milliards = 36 milliards.

En pourcentage par rapport au total des exportations de biens en 2021, les principaux clients de la France sont :  L’Allemagne 14 %, l’Italie 8 %, la Belgique 7%, l’Espagne 7%.

En pourcentage par rapport au total des importations de biens en 2021, les principaux fournisseurs de la France sont : L’Allemagne 14 %, la Chine 11%, l’Italie 8%, la Belgique 8%.

                                                              Principaux secteurs d’exportations françaises

  • Produits agroalimentaires 53,4 M €
  • Chimie 47,8 M €
  • Automobiles 44,1 M €
  • Machines (machines et équipements d’usage général) 39,3 M €
  • Aéronautique 36,7 M €
  • Pharmacie 35,3 M

                                          Principaux excédents sectoriels

  • Aéronautique et spatial (19,7 M €)
  • Chimie, parfums, cosmétique (15,2 M €)
  • Agroalimentaire (8 M €)
  • Pharmaceutique (2,6 M €)

                                             Principaux secteurs d’importations

  • Automobiles 62,1 M €
  • Informatiques et électroniques 51,7 M €
  • Machines (machines et équipements d’usage général) 49,2 M €
  • Métallurgie 46,3 M €
  • Chimie 45,6 M

                                                         Principaux déficits sectoriels

  • Énergie (43,1 M €)
  • Biens d’équipements (39,6 M €)
  • Automobile (19, M €)
  • Textile habillement (8,6 M €)

 

                                                       Importations et exportations de services

  • Exportations de services : 257,1 M €
  • Importations de services : 220,9 M €
  • Excédent commercial en services : 36,2 M €

                                      Vers une nouvelle politique économique

Ces quelques chiffres conduisent à se poser des questions de méthode dans le cas d’un projet d’une nouvelle politique de développement industriel. Quels seraient les secteurs dont on pourrait attendre des résultats positifs sur le long terme ? Faudrait-il privilégier les secteurs qui affichent aujourd’hui des excédents commerciaux grâce à des bons produits compétitifs ?  Ou, au contraire faire des réformes profondes dans les secteurs déficitaires qui vendent mal des produits peu compétitifs ?

                                                               Peut-on expliquer les causes de ces échecs ?   

Positionnement français du coût du travail en Europe

Niveau de productivité des facteurs de production

Manque de personnel spécialisé

Attractivité de la France dont par exemple, les procédures administratives d’implantations d’usines

Positionnement de la part d’innovations intégrée dans les produits

Image des produits français au niveau international

Niveau de volonté des entreprises à vendre à l’international

Manque de motivations patronales.

Bien entendu ce genre de questions et bien d’autres encore sont spécifiques et d’importances relatives selon le secteur que l’on étudie, ce qui accroit la difficulté les décisions d’ordre politique devant être prises à haut niveau administratif. En 2023 établir une politique industrielle simple et globale semble illusoire. Il faudrait autant de politiques économiques qu’il y a de secteurs d’activité ! Il y a bien sûr des nouvelles opportunités comme par exemple le véhicule électrique avec comme contrainte une règlementation européenne qui devrait s’affirmer de manière réaliste sans trop tarder par rapport aux projets chinois déjà bien enclenchés. Les aspects opérationnels sont très contraignants comme par exemple la refonte des stations d’énergie qui devront offrir (question de surface), un très grand nombre de prises de courant. C’est une question de planification dans le temps dont on a souvent tendance à sous-estimer les durées comme par exemple pour la nouvelle loi sur les contraintes thermiques dans l’immobilier. En toute rigueur, il faut décider vite et bien sans perdre de temps avec une bonne connaissance de l’opérationnel de l’entreprise.  

                                    Une autre vision sur les perspectives de nos bonnes entreprises   

Les Echos (1) ont publié en février le « Palmarès 2023 des 500 champions français de la croissance », une étude     basée sur un fichier de 500 entreprises remarquables classés par secteurs d’activité. Sur la base du fichier des Echos, nous publions ci-dessous un tableau qui reclasse par ordre décroissant les emplois de ces entreprises en 2021.  Les résultats sont encourageant dans plusieurs domaines. Il ne s’agit bien entendu que de 500 entreprises qui ont été sélectionnées sur des critères de réussite, ce n’est pas de la comptabilité nationale. Le fichier constitue alors un bon sondage pouvant alimenter des réflexions sur l’avenir souhaitable de nos entreprises.    

 

                                        Secteur

Emplois en 2021

Nombre de sociétés

Emplois de services

Emplois d’industrie

Informatique, Digital et High-Tech

10718

91

10718

 

Services à l’emploi (intérim, recrutement)

4919

25

4919

 

Industrie électrique et électrotechnique, équipements

3195

24

 

     3195

Médias et Télécommunication

2202

11

 

     2202

Immobilier

1985

28

 

1985

Ingénierie, Bureaux d’études techniques

1664

20

1664

 

Construction, Bâtiment

1526

37

 

1526

Audit, conseil et autres services

1310

29

1310

 

Services aux entreprises (gestion, nettoyage, entretien)

1219

20

1219

 

Agriculture et Agro-alimentaire

926

13

 

926

Publicité, Marketing et Communication

883

24

883

 

eCommerce

870

27

870

 

Transports et Logistique

860

14

 

860

Aéronautique, Ferroviaire, Naval

753

5

 

753

Commerce de gros

732

38

732

 

Fintech, Services financiers et Assurance

684

15

684

 

Commerce de détail

584

18

584

 

Éducation, Formation professionnelle

562

9

562

 

Environnement (eau, traitement des déchets, recyclage)

502

6

 

502

Tourisme, Hôtellerie-Restauration

403

6

403

 

Médico-social, Services à la personnes, Santé

386

12

386

 

Pharmacie, Cosmétiques

357

5

 

       357

Énergies (production, distribution, installation, conseil)

353

12

 

353

Automobile (Distribution et réparation)

135

11

 

135

 

     37728

         500

   24934

   12794

 

100%

 

66 %

34%

  Du point de vue du problème de la réindustrialisation, ces chiffres sont encourageants. Il y aurait en France un vivier de compétences opérationnelles fléchées vers de la création d’entreprises industrielles de croissance impliquées dans les nouvelles technologies. Ces dernières années, on a pu constater des relocalisations industrielles, certes minimes par rapports aux souhaits d’ordres macro-économiques mais qui confirment l’idée selon laquelle la France pourrait repartir sur de bonnes bases.

                                                                                      Conclusion d’espoir 

Insistons, pour rappeler qu’une réindustrialisation de l’économie française dépendra de plusieurs conditions devant   impérativement être opérationnelles toutes en même temps :

  • Productions de R&D sources d’innovations générant des nouveaux produits
  • Adéquation de l’offre sur le marché du travail grâce à la formation professionnelle
  • Positionnement fiscal conforme au niveau européen
  • Attractivité et image de la France au niveau international
  • Révision de la vision de l’entreprise dans l’éducation nationale
  • Profils d’entrepreneurs adaptées à la nouvelle structure d’entreprises complexes, mondialisées, numérisées
  • Vision stratégique de long terme sans protectionnisme
  • Implication du système bancaire
  •  

Pour conclure, citons Nicolas Dufourcq : « Pour réussir la réindustrialisation, il va falloir mettre beaucoup de cœur, d’émotion et de solidarité collective. Et tout ça se passe dans les territoires »

  • Pour obtenir les sources des statistiques publiées dans cet article merci de nous contacter.

                                                                                                                             

                                                                                                 Bernard Biedermann                                                                                                                                                                                                                                                                                  

                                                                                                             Conjoncture et décisions

                                                                                                             http://www.Theoreco.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.