Crise de 2008 « Consommateurs entrepreneurs », critiques injustifiées du libéralisme

Dès les premiers symptômes et  diagnostics de  la crise de  2008, on a pu  assisté à une critique du libéralisme et de l’économie de marché. La cause de la crise résiderait  dans le fait, qu’il n’avait pas été  interdit aux  banques et institutions financières de   titriser les  subprimes  et  que l’on avait laissé  se développer des crédits vers des couches de populations  à risques. Ainsi, la crise ne se serait  pas déclenchée si les autorités américaines avaient eu une politique économique comportant plus d’interventions et  plus de régulation.
Cette nouvelle crise fait l’objet d’un grand nombre d’analyses et de commentaires. Il est encore trop tôt pour établir une analyse définitive. Nous suggérons néanmoins de revoir la dichotomie consommateur versus  producteur   en proposant le « consommateur entrepreneur ».

Contexte de la crise de 2008 : les   « consommateurs entrepreneurs »

Une des spécificités de la crise de 2008 consiste dans le fait que la grande majorité des consommateurs américains sont aujourd’hui des entrepreneurs,  gestionnaires d’un véritable budget prévisionnel impliqué dans le  risque et l’incertitude. En conséquence, les classes moyennes doivent   avoir des compétences en matière de finance,   à cause de l’importance  des emprunts dans leur  budget, de l’allongement de l’espérance de la vie, de la durée des remboursements, de la complexité des contrats et surtout des aléas des vies professionnelles et  familiales. Pour un ménage ceci se traduit par la possibilité   de faire fortune  ou,  de faire faillite, comme un entrepreneur !

Confortés par une croissance régulière de plusieurs décennies le consommateur a investi    dans une production dont il  est  lui-même le consommateur avec les risques liés aux fluctuations de prix. A l’exclusion des périodes de guerres,  les conditions  de vie  étaient autrefois  plus simple et plus stables ; Le crédit aux particuliers moins développé car l’immobilier était en majorité locatif et ceux qui s’engageaient dans des emprunts d’immobilier le faisait sans doute de manière plus réfléchie avec,  il est vrai, l’inflation des années 60, 70 ,80   pour  adoucir les fluctuations négatives. Avec des prix de l’immobilier  en constante croissance, le risque de  faillite était très faible et comme le rappelle à juste titre  Michel Agliétta  « quand les prix augmentent, la demande augmentent » (La crise).

L’activité rationnelle  de calcul et celle des anticipations sont (devraient être)   un  véritable exercice d’équilibriste  préalable  à toute grande  décision ; décision  à prendre  dans  le  contexte  de confiance du moment , ce qui ne simplifie pas les choses.

En  prenant de l’importance, la composante d’incertitude  accroît celle du risque  dont la gestion   est  normalement affaire de professionnels. C’est la raison pour laquelle les banques ont développé des  prestations  de conseils en  gestion de patrimoine avec, heureusement ou malheureusement  des objectifs de ventes de crédits de toute sortes.

Certes la crise de 2007 a touché en même temps un grand nombre de ménages  à risque, à cause de la hausse des taux d’intérêts variables  mais  il y a fort  à parier qu’à l’avenir, les banquiers, approfondiront  l’analyse de la situation des ménages avant de donner leur feu vert. Le prêt ne sera plus accordé sur la  simple déclaration des niveaux de revenu.

Pour une meilleure  analyse conjoncturelle  il faudrait donc  s’appuyer sur  l’hypothèse de comportement du   « consommateur entrepreneur ».

Contexte et scénario

Depuis près de 10 ans la part des salaires dans la valeur ajouté des Etats-Unis décroît  régulièrement. On admet que cette tendance est due à  l’affaiblissement des revendications salariales dans le  contexte de délocalisations réelles, potentielles ou imaginaires ; ce contexte  expliquera la forte  demande de crédit à la consommation avec l’espoir de compenser la baisse ressentie de pouvoir d’achat.

A l’issu du 11 septembre, la  Banque Centrale américaine décide de baisser  les taux d’intérêt afin d’éviter un ralentissement de l’activité qu’elle anticipait compte tenu du choc psychologique des évènements.
Dans les mois et années qui suivent, le moral des investisseurs remonte et finalement l’économie se comporte plutôt bien. La conjoncture fait preuve d’optimisme ; les Américains consomment beaucoup, y compris des biens importés d’Asie, jeux, écrans plats, ordinateurs…

L’optimisme est de rigueur chez les banquiers qui prêtent sans retenues.Puis G. Bush déclare la guerre à l’Irak. Celle-ci  contribue à accroître le déficit  budgétaire.

Le déséquilibre de la banque commerciale  par les importations des consommateurs américains et les anticipations de déficit budgétaire exercent sur le dollar une pression à la  baisse. Mois après mois, le dollar continu à se déprécier. L’autorité américaine s’en inquiète et décide alors  de relever le taux d’intérêt  de base. Cette dernière  période  coïncide malheureusement avec un prix de pétrole  en  hausse continue depuis plusieurs mois ;   ce qui  a remis au goût du jour la remise en cause  de la grosse voiture qui  consomme, pollue    en   sapant le moral des Ford, Général Motors et autres Chrisler.

La suite, on la connaît : les ménages américains qui  avaient  pu facilement emprunté à  des taux variables bas, pendant les années d’optimisme  sont touchés de plein fouet, obligés de revendre leur biens  et de limiter leur consommation. Il faut  préciser que le montant des crédits de type subprime  représente moins de 20 % du montant total des encours de crédit d’immobilier mais par effet de contagion c’est toute la valeur de  l’immobilier qui est touchée et donc quasiment toutes  les couches de revenus  dont  les classes moyennes. Pour donner un ordre de grandeur, les subprimes représentaient 1500 milliards de dollars alors que la totalité des actifs physiques et financiers  des américains s’élevaient à 60 000 milliards de dollars. C’est l’importance de ce dernier chiffre et l’impact  potentiel des variations de ces actifs qui justifie l’approche «  consommateur entrepreneur » ; ceux-ci ont subi une chute  des prix de l’immobilier  de près de 40 %. Puis il y a eu la crise de confiance interbancaire  se déclinant en une crise de solvabilité elle-même transformée en crise de liquidité. L’impact sur l’économie dite réelle commence  fin 2008 avec la spirale «  effet revenu – anticipations négatives », véritable effet  domino lié au degré de confiance , accompagnée par le retour à l’aversion du risque   et  un transfert des actions vers les dépôts et titres  publics.

Peut on vraiment accuser le libéralisme et  le fonctionnement
des marchés  d’être responsable de la crise actuelle ?

– après le choc du  11 septembre, une attitude libérale n’aurait-elle pas  été de ne rien faire quitte à  accepter  une petite récession ?
– le  contrôle d’une production par un état résulte-t-elle d’un comportement libéral ?   La guerre d’Irak n’avait-elle pas pour motivation de renforcer le pouvoir des Etats-Unis  dans le but de mieux contrôler la production de pétrole?
– la baisse du dollar, devait elle être enrayée ou au contraire, comme le recommande les vrai libéraux ne fallait il pas  laisser purger une situation de déséquilibres sans  augmenter les taux ?

Il y a donc eu trois interventions de politique économique qui ne relèvent  pas d’une  politique réellement libérale. Par ailleurs la forte volatilité et probablement dans une certaine proportion, la hausse du prix du baril est du  au fait que  l’OPEP ne compte que sur  un ajustement par les prix et non  pas sur les quantités. Au quotidien, la production de ceux qui représentent la   plus grande partie de l’offre est (a été jusqu’à fin 2008) bridée à un niveau constant,  ce qui n’est pas non plus un comportement conforme à celui d’une  optimisation  en situation de  concurrence.

Bien d’autres critiques pertinentes à l’égard  du libéralisme auraient pu être formulées à l’occasion de cette crise  mais le « réflexe règulationniste »  a rendu aveugle. La première question à se poser est de savoir quel est le niveau de dégât         social que l’on accepte soit   dans  une crise  forte mais relativement courte dans le temps  ou bien   dans  une récession plus longue mais moins  forte car régulée. La deuxième question concerne la nature des choses ( voir : Homo Economicus, calcul temps et choses …..) de l’après crise ; l’économie repartira-t-elle  dans sa structure actuelle  ou bien y aura-t-il une nouvelle orientation avec un changement complet des préférences des consommateurs. Mais, quelle que soit le futur scénario, c’est dans le cadre de l’application des politiques de protection de l’environnent que le problème du libéralisme se posera de manière continue  car si les besoins sont  en  grande partie individuel leur résolution passe par une contrainte collective.

Un contrôle de l’activité bancaire  pouvait-il éviter la crise ?

Il n’est pas sûr que l’excès de crédits à risques aurait  pu être détecté, en raison  de la règle du secret des affaires et parce que les montages financiers  étaient  d’une complexité telle que les financiers et les économistes eux mêmes ont mis du temps à comprendre ce qui s’était passé. De plus, grâce  à des montages marketing élaborés de  produits financiers, « la titrisation constitue un outil de gestion des risques qui donne l’illusion de l’efficacité » (OFCE, Les promesses de  l’ombre. scénario 2008-2009 pour l’économie mondiale). Il faut également tenir compte du fait que « les crédits subprimes  ont été en large partie accordées par des sociétés financières qui aux  Etats-Unis ne sont pas assujetties à la réglementation bancaire. » ( Jézabel Couppey-Souberan , CAE)

Par ailleurs, les autorités libérales « de droite » se seraient  opposées  par principe, à l’idée d’un contrôle bancaire alors que  le tempérament  de « gauche » aurait condamné des restrictions de crédit vers les catégories les  plus défavorisées.

Mais surtout, lorsque l’on s’est rendu compte que l’impact  du 11 septembre sur l’économie n’a pas été aussi fort que ce que l’on   craignait, il régna  aux Etats-Unis une période d’optimisme solide. Dans une telle conjoncture, les  pessimistes perspicaces   n’ont  pas  vraiment été  écoutés ; reste à savoir pourquoi alors que dans le monde de la finance régnait l’obsession du court terme. «  Il faudra expliquer précisément pourquoi les banques américaines, les financiers américains se sont laissés aller à distribuer, aussi massivement et sans aucun discernement, des crédits de toutes sortes. En période normale, l’organisme de crédit immobilier aurait trouvé un arrangement avec son emprunteur. Il aurait fait jouer une assurance ou alors au pire, il aurait fait vendre la maison qui compte tenu de la hausse régulière des prix de l’immobilier  se serait vendues plus chère qu’elle n’avait coûté. Du coup, tout le monde serait retombé sur ses pieds. Sauf qu’en 2007, en raison du nombre d’impayés….. » (Olivier Pastré, Jean-Marc Sylvestre, le roman vrai de la crise financière).

Quoi qu’il en soit le choc, a été tel que, avec ou sans réglementation, on est en droit de penser que les banques se contrôleront elle-même mais,  que la prochaine  bulle éclatera dans une ou deux générations  comme si les leçons du passé avaient été  effacées de la mémoire.

Crises et récessions  d’autrefois

Dans un contexte de délocalisation mondiale, notre crise est celle d’un niveau d’endettement jamais atteint avec un refoulement systématique  des risques    dans des montages sophistiqués, secrets, incontrôlés et dangereux. La hausse des taux été le facteur déclencheur.

Dans  la liste non exhaustive qui suit, nous rappelons,  le contexte et les faits qui ont déclenché la crise ou la récession. En deux siècles, on est passé des crises liées à la météo et aux conflits  aux crises d’origine sectorielle. Les déséquilibres  monétaires, bancaires et boursiers sont communs à toutes les crises.

1815: Grande Bretagne. Anticipations trop élevées  de la demande européenne. Chute des commandes militaires dans le nouveau contexte de paix.

1816: France. Hausses des prix agricoles suite à des récoltes catastrophiques.

1825: Grande -Bretagne. Rentabilité des investissements dans la métallurgie et  en Amérique du Sud inférieure aux taux escomptés suite aux  relèvements des tarifs douaniers  américains. Spéculations sur matières premières puis crise boursière.

1835: Grande-Bretagne. Spéculation sur les emprunts Portugais et espagnols. Des troubles politiques et sociaux remettent en cause la sécurité de ces prêts. Krach boursier en 1835.

1839: Etats-Unis. Chute des prix du coton suite à une excellente récolte. Stocks invendables à Londres. Crise bancaire aux Etats-Unis.

1847: Grande -Bretagne. Hausse des prix de la pomme de terre en raison des effets du phytophthora. Recul de 40 % de la consommation des tissus. Faillites  et contraction du crédit bancaire.

1847: France. Baisse de la rentabilité des chemins de fer en raison de la hausse des prix du rail et des baisses tarifaires. Suspension des travaux de la ligne Paris Lyon. Panique boursière en 1848.

1857 : Etats-Unis. Effondrement du prix du blé  suite aux bonnes récoltes en Europe et en Russie. Ralentissement des exportations vers l’Europe. Aux Etats-Unis,  faillites de banques  spéculant sur les actions de chemin de fer.

1860: Etats-Unis. Guerre civile. Le gouvernement américain exige le paiement des créances en Europe. Le taux d’escompte doit être remonté à 8 %.

1866: France. La rentabilité des investissements des compagnies de Chemin de fer n’est pas conforme aux attentes. Suspension des dividendes par le Crédit Mutuel.

1873: Etats-Unis. Rareté de main d’œuvre, hausse des coûts dû au prix de l’acier, manque de capitaux. Cessations de paiement des banques auxquels les Sociétés ferroviaires  n’arrivaient pas à rembourser les prêts.

1882: France. Rareté de la main d’œuvre et baisse de la productivité du travail. Ralentissement de la hausse des profits, dépassement des devis. L’état ralentit les travaux publics et la construction de chemin de fer. Krach Boursier en 1882.

1883: Etats-Unis. Concurrence acharnée entre compagnies ferroviaires. Effondrement des valeurs des compagnies ferroviaires.

1890:Grande-Bretagne. Echec total de l’emprunt de 10 millions de livre sterling au profit de travaux public à  Buenos-Aires.  Suspension des paiements bancaires, hausse du taux de la banque d’Angleterre à 6 %.

1900: Russie. Ralentissement industriel suite à l’achèvement des grandes lignes de chemins de fer. Panique boursière et financière.

1900: Allemagne. « Crise électrique », surinvestissement dans l’activité de l’électricité avec  l’exécution de projets non rentables. Crise boursière.

1907: Etats-Unis. Manque de capitaux. Taux d’intérêt élevés, baisse du pouvoir d’achat, baisse du trafic ferroviaire. Spéculation sur le cuivre puis  baisse de 40 % du prix du métal ; crise monétaire et suspension des paiements bancaires

1910: Etats- Unis. Baisse des bénéfices des sociétés de chemin de fer à la suite des hausses de salaire. Offre de capitaux insuffisante. Ce contexte s’est traduit par une chute des commandes de fonte et d’acier.

1913: Allemagne. Fort ralentissement de l’expansion  de l’immobilier dans un contexte de manque de capitaux. Hausse des prix à l’exportation due à un goulot d’étranglement dans la marine  marchande.

1929: Etats-Unis. La part des salaires dans la valeur ajouté est en baisse et  la surcapitalisation  induite par le progrès technique ont entraîné une contraction de la demande intérieure ;  demande extérieure en baisse par le fait que des pays  arrivent  progressivement à se passer des produits américains. La hausse des taux par la Banque d’Angleterre (de 5.5 à 6.5)  le 26 septembre a été le premier facteur déclenchant.

1937: Etats-Unis. Baisse des dépenses publiques dans le but de réduire le déficit budgétaire accumulé depuis plusieurs années.

1948: Etats-Unis. L’épuisement de l’épargne accumulée pendant la guerre et la hausse des prix des équipements ménagers freinent la demande par  un effet revenu.

1950: Etats-Unis, Europe. La guerre de Crimée déclenche une hausse du prix des matières premières. En France, inflation et  mouvements de spéculation contre le Franc puis politique de restrictions.

1957: Etats-Unis. Hausse du taux d’intérêt   de  la banque centrale, par crainte de l’inflation. Hausse des prix des biens d’équipements  supérieure  à celle des biens industriels provoquant une modification de la politique d’investissement dans les entreprises.

1964: Grande-Bretagne. Affaiblissement de la Livre suite à la montée des taux Américains,  détérioration de la balance commerciale. Mesures déflationnistes rigoureuses imposées par le gouvernement travailliste.

1966: Allemagne. Crainte d’une reprise de l’inflation. Restriction du crédit sur la demande globale.

1974: Europe, USA, Japon. Doublement du prix des matières premières  et agricoles depuis  1972. Stagflation mondiale suite au choc pétrolier de fin 1973. 1974 constitue  une rupture par rapport à la période précédente qui avait débuté en  1950.

1997:Asie. Croissance excessive de l’endettement. Eclatement de la bulle immobilière.

Le contenu de cet article a été intégré dans l’essai « Le numérique, c’est l’économique » accessible par l’article : Le numérique, c’est l’économique, en tête du blog :    

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