Choix d’investissement , prévisions et probabilités

                                           Extrait   du livre  «  Les patrons sont-ils des mous ? »

                                                              Question posée à J.M. Keynes

                                                         Bernard Biedermann  (Le Publieur 2003)

 

 

 

En général, les méthodes de choix d’investissements s’avèrent satisfaisantes  dans la plupart des cas, jusqu’au jour où « les choses ne se passent plus comme avant». Des événements totalement imprévisibles par leur rareté passée ou parce qu’ils ne se sont jamais produits déboulent et chahutent le quotidien. Soudain, on constate des modifications importantes de la volatilité de telle ou telle valeur, les statistiques ne se comportent plus comme elles se sont comportées dans un passé suffisamment long pour qu’on ait eu l’impression de « savoir ou l’on allait », autrement dit les écarts types deviennent instables.

Il convient alors de réfléchir à l’impact de ces nouvelles situations sur le comportement de l’entrepreneur en tant que décideur du niveau des ressources de production. Il est dans la nature humaine de s’habituer relativement vite aux changements récents, et particulièrement chez ceux dont le métier est en permanence orienté vers l’avenir. Dans un autre domaine, celui de la météo il avait été frappant de constater qu’il avait suffi d’une tempête séculaire pour que naisse l’idée que le climat allait devenir instable alors que les météorologues eux-mêmes n’avaient pas encore suffisamment de recul pour émettre une telle affirmation. En période de rupture, les chefs d’entreprise ont eux aussi tendance à vouloir intégrer le passé récent avec d’autant plus de précipitations que l’incertitude gagne l’ensemble des milieux économique.  La difficulté croissante à associer une probabilité à un événement ou un scénario conduit alors les dirigeants à modifier leur manière de travailler, et peu à peu s’opère une scission entre le processus de réflexion et celui de la décision.

Ces deux sphères peuvent bien entendu être regroupées dans l’activité d’une seule personne, l’artisan individuel, ou constituer le périmètre d’actions de différentes entités qui composent l’entreprise, directions, départements, services… Ce qui est important dans cette façon de voir les choses, plutôt que d’imaginer des boîtes noires, c’est de bien identifier que les objectifs ne sont pas les mêmes : schématiquement, il y a, comme on le disait autrefois, « la connaissance », puis « l’action », c’est-à-dire deux logiques différentes.

Mais les deux sphères échangent de manière d’autant plus forte et rigoureuse que s’installe l’incertitude. Dans la sphère de la connaissance on est dans un processus de recherche, d’analyse, de veille technologique ou économique, qui se concrétise par des constructions de scénarios ; puis, dès que le doute apparaît, le processus s’oriente vers une suractivité. À la limite on rencontre, des consultants d’entreprise qui tentent d’évaluer les risques d’événement exceptionnellement rares ! Nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard à propos de la gestion du risque. Si ces recherches sont théoriquement justifiées et répondent à des besoins, comme dans les assurances, elles nous semblent néanmoins être souvent à la limite du bon sens. On peut bien sûr essayer de calculer la probabilité qu’un incendie détruise le site informatique d’une grande banque dans les X prochaines décennies en se basant sur le passé ; on pourrait aussi dans cette logique réfléchir à la probabilité que des milliards d’insectes fous attaquent les automobilistes et bloquent toute l’activité économique d’une région d’Europe pendant plusieurs jours ! Après tout, la tempête de décembre 1999 était, aux dires des météorologues, inconcevable en Europe, d’ailleurs les appareils n’avaient pas été conçus pour mesurer les vitesses atteintes par le vent !

Mais revenons à nos financiers et convenons que ces excès de recherches ne témoignent finalement que de l’importance accordée à la prévision lors des périodes de rupture.

De surcroît, même si la crainte d’événements extrêmement rares n’est pas primordiale, on peut très bien comprendre qu’en période de trouble naisse un doute sur les méthodes de calcul de probabilités appliquées aux événements et aux résultats financiers.  De quoi s’agit-il? D’évaluer la probabilité que se réalise un chiffre d’affaires X à la période P. La méthode qui consiste à extrapoler les valeurs futures à partir des résultats passés est relativement simple, mais à partir du moment où il y a rupture on ne peut anticiper des résultats futurs qu’en utilisant une construction faisant appel à l’imagination. Il faudra alors faire des hypothèses sur plusieurs variables : le marché, les évolutions de prix, les décisions de la concurrence, la rapidité avec laquelle le produit sera lancé, etc. Ce genre d’exercice particulièrement intéressant s’avère plutôt délicat, car à chacun de ces événements (quantités vendues, prix, coûts de fabrication…) il faudrait appliquer des probabilités qui en toute rigueur devraient faire l’objet d’un calcul d’erreur (ce qui est rarement fait). Le profit escompté d’un investissement X pour l’année T résulte alors de valeurs auxquelles on a appliqué des taux de probabilités sur des quantités, des prix de vente facturés, des coûts… ; ce qui fait beaucoup pour une seule valeur, le profit escompté étant la seule variable censée orienter la décision.

Il ne s’agit pas de s’arrêter aux faiblesses des méthodes de choix d’investissement, qui sont d’une grande utilité : elles structurent l’avenir, par le fait qu’on envisage les cas limites et qu’on invente des scénarios à partir desquels on pourra établir des stratégies plus souples et plus rapides à mettre en place. Elles exercent en outre une influence rassurante à l’égard de ceux qui ont la charge de prendre la décision finale.

Mais la réflexion n’a pas réussi à diluer l’incertitude qui enrobe la décision finale, bien au contraire. En réalité, qu’il s’agisse d’une petite entreprise familiale ou d’une grande entreprise, le passage de la réflexion à la décision d’investir ne se fait pas automatiquement.  On passe par une période de négociations, de jeux de pressions en tous sens avec ce que cela comporte de contraintes diverses, temps, marges, recrutements, consultations, etc. Les acteurs de cette véritable scène de théâtre appartiennent à toutes les directions de l’entreprise: marketing, techniques, vente, finance, et il faut compter avec l’impatience des entreprises qui proposent les services et biens d’équipements. Il est alors évident que les enjeux financiers, humains, collectifs et individuels, génèrent des rapports de forces opposées, voire de conflits. C’est donc dans un contexte parfois difficile que le ou les décideurs doivent prendre des décisions importantes, à caractère irréversible et qui engagent la société dans sa globalité.

Le tableau dépeint des situations plutôt négatives, de rupture, d’incertitude, d’impossibilité d’établir des prévisions. Nous soutenons néanmoins que ce que nous venons de décrire est d’importance : qu’il s’agisse du comportement de l’entrepreneur ou du fonctionnement de l’entreprise, tout cela se retrouve au niveau global de l’économie.

 

Bernard Biedermann

Conjoncture et décisions

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