71 Pôles de Compétitivité ont été lancés en France à partir de 2005 ; en 2008 ils feront l’objet d’une évaluation que le gouvernement a confié au cabinet Boston Consulting Group. Avant de faire le point sur ces Pôles de Compétitivité un retour sur la démographie des entreprises française s’impose. Lors de la visite de Jacques Chirac en Chine, les observateurs avaient relevé l’absence de grosses PME/PMI françaises par comparaison avec nos voisins européens. Seules les grandes sociétés pouvaient prétendre à la signature de contrats. Cette question a depuis fait l’objet d’analyses et de commentaires.
Ce qui se dit au MEDEF
A l’occasion du colloque sur les pôles de compétitivité organisé par l’ANDESE, le MEDEF et OSEO, Christian Saint-Etienne révèle le résultat d’une étude approfondie. Le diagnostic est le suivant : il y a un « plafond de verre » sur les entreprises qui appartiennent à la tranche de 70 à 100 salariés (selon le type d’activité). A partir de ce seuil le patron devrait « reconstruire son entreprise » par un « saut managérial » caractérisé par le recrutement de compétences destinées à anticiper et gérer le changement lié à la croissance. Malheureusement, beaucoup de ces patrons de PME/PMI habitués de longues dates « à tout faire », refusent d’embaucher « des collaborateurs surdimensionnés ». On ne peut alors s’attendre à ce que ces structures limitées sous un plafond de verre investissent vraiment dans la recherche et l’innovation.
Du côté des petites PME/PMI, de création récente, les perspectives ne sont pas meilleures. Elles sont en effet souvent l’œuvre d’anciens chômeurs. En soi cela n’a rien de choquant, sauf que dans cette population d’anciens chômeurs devenus patrons par défaut, la part de profils innovants à compétences techniques est certainement restreinte, sinon ils ne seraient pas devenu demandeurs d’emploi. Toujours à l’occasion du colloque sur les Pôles de Compétitivité, Philippe Pouletty (PDG de France Biotech) regrette que les grands groupes, aient (eux aussi !) délaissé la recherche et le développement ; et d’ajouter qu’en France les entreprises ne sont pas gâtées par la recherche des Laboratoires, des Ecoles et des Universités, trop pauvres ou trop académiques. On doit également rappeler que parmi les étudiants français, le taux d’intention de créer une entreprise ou de travailler dans une PME est le plus faible de tous les pays occidentaux.
Face à ces constats dignes des déclinologues, on est alors en droit de se demander si en France nous avons vraiment des entrepreneurs dignes de ce nom.
Schumpeter n’est pas français
Revenons aux exportations qui constituent l’UN des critères de la performance d’un pays. La France se place bien dans deux domaines : celui des grands groupes issus des secteurs des hautes technologies (nucléaire, aéronautique, ferroviaire..) et celui qui regroupe les biens et services desquels les Allemands disent « bienheureux comme dieu en France » c’est-à-dire, le tourisme la culture, les produits de la mode et de la gastronomie. Force est de reconnaître que ni l’un ni l’autre ne relève de l’esprit d’entrepreneur décrit par Schumpeter. A l’exception de quelques Michelin ou Dassault, nos grands groupes historiques sont issus de projets préalablement financés par l’état et pilotés par des ingénieurs peu préoccupés par la notion de risque. Pour ce qui est des secteurs du « bonheur », les entrepreneurs du XXIème siècle n’y sont pratiquement pour rien ; si nous avons de bons champagnes, un beau pays et un savoir vivre de classe ce n’est pas le résultat de l’esprit schumpétérien. L’erreur réside plutôt dans le fait que nous ne savons pas les vendre et le drame, de recevoir des touristes peu satisfaits par nos prestations hôtelières ! Y a-t-il une solution ?
Bilan des Pôles de Compétitivité
L’objectif de la politique des Pôles de Compétitivité est de chercher à « créer des dynamiques de coopération entre les entreprises, les laboratoires de recherche et les organismes de formation œuvrant dans un même domaine et sur un même territoire généralement la région, ( CEPREMAP) ». Il existe en France 71 pôles de compétitivité dont 7 à vocation mondiale, subventionnés à auteur de 1.5 Milliards d’euro sur 3 ans. (Pour des informations très complètes, consulter l’étude réalisée par le CEPREMAP, « Les pôles de compétitivité, Que peut-on en attendre ?, Editions rue d’ULM).
De son côté le MEDEF a commandé une enquête auprès de PME/PMI qui ont confié leur projet à un centre de compétitivité; les résultats définitifs doivent être publiés en 2008. Dès à présent il en ressort que le bilan est plutôt moyen mais que le principe ne doit pas pour autant être abandonné. Devront être améliorés :
– les procédures administratives jugées trop lourdes et trop complexes (« le mille- feuille »)
– les délais de réponse de la part d’OSEO
– la faiblesse de l’esprit capital-risque
– le choix des entreprises destinataires des financements, « on finance toujours les mêmes ! »
– les objectifs des universités exagérément orientée vers la recherche académique
– le comportement des centres de recherches par rapport à la confidentialité
Plus généralement le colloque « Pôle de Compétitivité » a été une fois de plus l’occasion de déplorer la situation de l’état de la recherche française. Il n’y a pas que la fuite des cerveaux, « les directeurs de R&D des grands groupes français ont perdu du pouvoir » (Eric Bantégnie, PDG Esterel technologie et administrateur Syntec-informatique). Pour Phillipe Pouletty (PDG France Biotech), la recherche académique française est médiocre « en médecine le dernier Prix Nobel remonte à 17 ans ! », et pourtant, les moyens financiers existent. Mais quand ils existent, « les politiques publiques les réservent d’abord aux grands groupes » ce qui ne compense pas le fait que les « fonds de pension ne vont pas vers les PME innovatrices » (Philippe Trainar Economiste SCOR, CAE). Les banquiers eux aussi sont frileux, « ils vous lâchent dès qu’on est en situation de risque » (Jean-Louis Truel, Dirigent IDB). En bref, « ces 10 dernières années, la R&D stagne, il n’y a pas de nouveau secteur innovant » (Frédérique Sachwald, directeur département R&D au Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur).
Bien d’autres regrets ont été formulés par des dirigeants et économistes de tous secteurs y compris par Charles Beigbeder (Président de la commission innovation, recherche et nouvelles technologie du MEDEF) pour qui, « nos entreprises courent le 100 mètres avec des boulets » alors « qu’en UK, 80 % des entreprises sont dans des clusters » (Daniel Blondel, Professeur à Paris Dauphine).
L’union ferait la force
Compte tenu de l’importance du parc de PME/PMI en France, il faut bien relier notre conjoncture de long terme caractérisée par une croissance molle à leurs contraintes d’ordre technologique, financier, fiscales, managériales et psychologiques. Il faut aussi recadrer cette situation dans le contexte de la mondialisation.
En toute rigueur, les PME/PMI auraient tout intérêt à dépasser leurs freins culturels et à se regrouper pour affronter les marchés internationaux en se dotant de meilleures stratégies. Dans chaque secteur d’activité il y a un seuil à partir duquel les entreprises devraient se doter de service de marketing, de veille technologique si elles voulaient s’assurer une présence au niveau mondial. Elles bénéficieraient alors d’une plus grande souplesse de réactivité décisionnelle et d’imagination que les directions des grandes structures. De plus la rationalité économique nous dit que la fusion de PME/ PMI se traduirait par des gains de productivité. Dans les faits ce processus se réalise souvent, non pas entre elles, mais entre PME/PMI et grands groupes. Beaucoup de PME/PMI ayant fait leurs premières preuves en matière d’innovation, de marketing et de rentabilité se font racheter par des grandes structures qui leur apportent alors les ressources nécessaires au développement international. Ceci témoigne à nouveau du comportement face au risque et à l’incertitude qui règne dans les grands groupes ; on laisse faire d’autres avant de s’engager !
Le 1% qui manque
Alors se pose la question du fameux 1 % qui manque au PIB Français. La résolution de tous ces problèmes nous permettrait-il de gagner en croissance ? Certainement, mais il faudra être patient ; on ne relance pas la croissance en claquant dans les doigts ou en utilisant la méthode Coué surtout lorsque le 1 % manque depuis trois décennies.
Les modèles théoriques nous enseignent d’abord que dans le domaine de la croissance économique, le règne de l’interdépendance est plus important que sur le court terme. Ce qui implique que LA solution miracle n’existe pas. Ensuite, la croissance n’est pas uniquement affaire de variables que l’on peut régler comme un curseur ; le rôle des structures est fondamental, c’est ce que nous disent la plupart des approches théoriques. Et comme par définition la croissance est un phénomène durable les conditions des structures sont elles aussi liées au temps.
Le schéma qui suit essaie de montrer cette interdépendance entre faits, variables, structures et comportements habituellement retenues dans les théories de la croissance. Il ne prétend pas être exhaustif et ne préjuge en rien du poids respectif de chacun des éléments. Il convient cependant de noter qu’une croissance durable présuppose une forte complémentarité parmi ces relations. Autrement dit, il doit y avoir nécessairement et en même temps influence du plus grand nombre d’éléments.
Bernard Biedermann
Conjoncture et décisions