Elasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt

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Il est curieux  que les économistes se soient si peu intéressé  à  rechercher les causes de la valeur de  l’élasticité de l’investissement par rapport au taux d’intérêt  alors  que    la  politique monétaire utilise  justement    le  taux d’intérêt  pour agir  sur le revenu. La quasi-totalité des graphiques représentant   la relation entre l’investissement et le taux d’intérêt montrent  une courbe inclinée à 45 degrés. Peu de courbes se rapprochant de la verticale et  des  commentaires se résumant à l’affirmation d’une hypothèse,  sans aucune justification. Il est en général admis  que l’épargne augmente avec le revenu et que le flux d’investissement est une fonction décroissante du taux d’intérêt avec l’hypothèse  que plus l’investissement est sensible au taux d’intérêt plus la courbe tend vers l’horizontale. Le débat n’a   pas vraiment été ouvert   et ce, bien  que  la relation  entre l’investissement et le  taux d’intérêt constitue un des fondements de base des politiques de relance.

La problématique n’est pas simple car « l’élasticité de la fonction d’investissement au taux de l’intérêt est à la fois variable et mal connue. La relation entre investissement et taux d’intérêt toujours décroissante, peut être concave ou convexe, éventuellement linéaire. Aucun résultat général ne peut être donné » ( Gilbert Abraham-Frois, Economie Politique, Economica septembre 2001. La complexité tire ses origines dans le fait qu’une variation des taux d’intérêt est souvent  complémentaire  à   des décisions budgétaires, ce qui rend les vérifications empiriques particulièrement délicates. Et comme le souligne Jean-Paul Fitoussi, « la complexité de ces interdépendances et de leurs conséquences cumulatives est telle que les modèles économétriques en sous-estiment sans doute les effets, même s’ils concluent à leur caractère expansionniste. » ( Jean-Paul Fitoussi, Le débat Interdit Arléa1995).

                   L’élasticité Investissement taux d’intérêt  dans les modèles

Rappelons d’abord quels sont   les objectifs des modèles  théoriques  car leurs interprétations sensées conseiller les politiques sont souvent erronées. Ainsi en est-il du  modèle d’équilibre  classique  et  du modèle IS-LM de type  keynésien.

Pour les classiques, l’équilibre sur le marché des biens résulte de la confrontation de l’offre et de  la demande qui s’ajustent grâce au  mécanisme des prix. Le niveau de l’investissement découle de la comparaison entre ce que rapporte et ce que coûte ( le taux d’intérêt réel )  une unité supplémentaire de capital ; c’est la théorie de la  productivité marginale du capital. En raison  de la décroissance des rendements, la demande de biens d’investissement est décroissante. Seul le taux d’intérêt, est en mesure de concilier le désir d’épargner avec celui d’investir. Dans les modèles classiques, la courbe est inclinée à 45 degrés ce qui est conforme au fait que l’investissement n’est sensible qu’à une seule variable explicative, le  prix. Cette grande souplesse d’adaptation du marché est reprise par les monétaristes et les   nouveaux classiques. Elle est omniprésente dans leurs analyses et dans leurs propositions  politiques.

Pour les keynésiens, l’approche est différente. Dans les modèles macroéconomiques, on trouve fréquemment une  courbe IS   inclinée vers la verticale, ce qui est interprété comme résultant d’une faible sensibilité au taux d’intérêt. Keynes lui-même ne donnait  pas d’explication à cette  faible élasticité   et  se contentait  d’un constat sceptique. « Lorsqu’une variation se produit dans le rendement escompté du capital ou dans le taux de l’intérêt, la courbe de l’efficacité marginale du capital est telle qu’il n’y a pas  une grande disproportion entre cette variation et celle qui en résulte dans le flux d’investissement nouveau ; autrement dit les variations modérées  du rendement escompté du capital ou du taux d’intérêt ne sont pas associées à des variations très considérables du  flux d’investissement. » ( Keynes, Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie, Payot, 1998). Précisons qu’une variation de l’efficacité marginale du capital se traduit par un déplacement parallèle de la courbe IS.

La courbe IS est une relation essentielle du modèle IS/LM  dont les représentations graphiques largement  représentées dans les manuels d’économie conduisent parfois à des excès d’interprétation. L’intention de cet article n’est pas une remise en cause du modèle, d’autres critiques ont déjà été formulées   mais, il convient de rappeler certaines de ses propriétés qui lui sont inhérentes.  Ainsi en est-il  de la nature des relations  représentées. La courbe IS est,  pour  le marché des biens,   un ensemble de  couples des valeurs   revenu-taux  d’intérêt  pour lesquels il y a un équilibre. C’est une relation de correspondance et non pas une relation  de causalité. La courbe IS n’établit donc pas une relation explicative entre le niveau du revenu et la valeur du taux d’intérêt. On doit lire la relation de correspondance de la manière suivante : pour deux niveaux d’équilibre de taux d’intérêt différents  il existe deux niveaux de revenu d’équilibre différents. L’abus d’interprétation consistant à penser que la courbe IS décrit une relation qui explique le niveau de l’investissement par rapport au taux d’intérêt provient du fait qu’elle est construite sur la base des deux relations suivantes :

–        l’investissement est une fonction décroissante du taux d’intérêt,

–        Le niveau de l’épargne, complément de la consommation, est fonction croissante du  revenu, par le biais des propensions moyennes à consommer et épargner.

Toute choses étant égales  par ailleurs,  le niveau de revenu peut  s’établir vers une multiplicité de valeurs pour lesquelles il y a équilibre entre l’offre et la demande de biens et auxquelles sont associés autant de valeurs du taux d’intérêt de manière bijective. En cas de déséquilibre, c’est à dire, des niveaux de consommation et d’investissement réalisés  différents des niveaux anticipés avec constitution de stocks et/ou ajustement par les prix, les valeurs du couple revenu-taux d’intérêt se situeront en dehors de la courbe IS.

La courbe LM représente  l’introduction du marché monétaire. Le point de croisement des deux courbes IS et LM  détermine  la valeur du revenu et la valeur du taux d’intérêt associée,  qui correspondent à un équilibre sur le marché des biens  compatible avec un équilibre  sur le marché monétaire ce qui n’exclut pas    que le marché de l’emploi puisse  être en déséquilibre. Les intentions premières du modèle IS-LM étaient  de démontrer l’existence de ces lieux d’équilibres de sous emploi et de suggérer les actions de politiques budgétaire et monétaire visant à rétablir l’économie vers le plein emploi. Mais comme on vient de le voir, la véritable relation de causalité entre l’investissement et le taux d’intérêt n’apparaît  pas  explicitement dans le modèle IS/LM. On comprend aisément que les conjoncturistes analysent les fluctuations de l’investissement par le biais de la courbe IS car au niveau microéconomique il est aisé de comprendre qu’une baisse des  taux  d’intérêt déclenchera une décision  d’investissement.

En réalité on s’accorde à reconnaître que la relation de causalité inverse  entre taux d’intérêt et investissement existe  bel et bien mais que sa mesure par les outils économétriques est  particulièrement délicate, à fortiori  s’il s’agit d’en  mesurer l’élasticité.

                           La difficulté de la mesure de l’élasticité

Les raisons invoquées pour justifier  ces difficultés sont multiples :

–        Pour les biens de  consommation   incluant l’immobilier  non locatif, les achats sont  bien sensibles aux variations des taux mais les flux d’épargne ne le sont pas, ce qui ne facilite pas les  anticipations des entrepreneurs  car  une augmentation des taux ne générera pas forcément une baisse de la  consommation.

–        Pour les biens d’investissement l’analyse doit  aussi être  nuancée car les processus de décisions comportent plusieurs variables dont la plupart font l’objet d’anticipations. S’y ajoutent des phénomènes de retard : « en cas de baisse des taux d’intérêt, les banques n’ont  naturellement pas intérêt à ajuster au plus vite les taux de leurs crédits du moins si la concurrence le leur permet. Elles n’ont pas non plus nécessairement avantage à répercuter entièrement les hausses de taux. En effet, augmenter le taux du crédit peut déclencher un phénomène de sélection défavorable dans la mesure où les emprunteurs les plus fiables, aux projets moyennement rentables en espérance  mais avec peu de risques, se trouvent découragés( Stiglitz et Weiss, 1981 ) »

–        bien d’autres mécanismes complexifient  les choses  comme  l’influence des taux courts sur les taux longs et leurs anticipations respectives

Mais la raison essentielle de la difficulté de la   mesure de l’élasticité réside dans le fait qu’au niveau macroéconomique investissement et taux d’intérêt  fluctuent de manière pro-cyclique ; A  un haut niveau d’activité  est associé un taux d’intérêt élevé  et réciproquement à  un niveau de revenu faible  correspond   des valeurs de taux inférieurs. Ceci   est   conforme aux conclusions du modèle IS-LM mais n’exclut pas la relation décroissante  entre l’investissement et le taux d’intérêt. Il n’y a  donc pas contradiction même si la lecture de graphique  laisse penser qu’il y a  une corrélation positive entre FBCF et Taux d’intérêt. A ce sujet le commentaire   «  Taux d’intérêt réel et taux d’investissement : une corrélation  à l’encontre de la théorie » d’ Agnès Bénassy-Quéré, Laurence Boone, Virginie Coudert, ( Les taux d’intérêt, La découverte ) est révélateur.

La question plus générale que l’on peut alors  se poser  est   de savoir s’il n’y a pas abus d’intégration par  le fait que  IS-LM est un  modèle de court terme ( la semaine, le mois )  alors  que la relation d’équilibre  revenu-taux  d’intérêt concerne la   politique économique  sur le  moyen terme avec la stabilité pour objectif.

Les raisons d’une faible  élasticité

Mathématiquement, il s’agit du rapport entre le flux d’investissement productif incrémental et la valeur de la  variation en points du taux d’intérêt qui l’a provoqué. Economiquement les choses doivent être précisées : A tout moment  une économie  détient  un portefeuille de projets d’investissements  qui  constituent une demande potentielle. Concrètement il s’agit des projets ayant fait l’objet d’études mais pas  de décisions signées. Au moment où ces projets font l’objet d’une commande, la somme de leurs valeurs devient  le nouveau flux d’investissement ( faisons ici  abstraction des aspects logistiques,  livraisons et de délais de facturation..) .  La notion d’élasticité concerne donc l’environnement d’un très grand nombre de  décisions d’investir ou de ne pas investir. Le portefeuille est lui-même une variable qui fluctue avec le temps en fonction de la phase du cycle dans laquelle se trouve l’économie et bien entendu de l’état psychologique  des entrepreneurs au moment de la prise de décision. On  doit  aussi considérer l’état de développement  de l’économie pour désigner   les   périodes d’investissement résultants des grandes  inventions (  transport ferroviaire, électricité, numérique..),  surtout lorsque les flux d’investissement s’appliquent  à des activités dont l’intensité capitalistique est très forte.

Le niveau de l’intensité capitalistique est  donc une première variable qui agit sur le niveau de l’élasticité.

La situation financière du moment  est bien évidemment une variable importante. La sensibilité de l’investissement aux variations des taux varie selon  les  charges  relatives des dettes en cours et le type de taux, fixes, variables ou ré-ajustables. Il convient  de noter que la proportion  des prêts à taux fixe par rapport aux  prêts à taux  variables  diffère d’un pays à l’autre  en  fonction des habitudes bancaires. Des taux élevés limitent l’investissement par une contrainte budgétaire et par le souci de désendettement. Dans le cas où l’objectif de désendettement est primordial,  une baisse des taux ne déclenchera pas pour autant la réalisation des projets rentables.

La durée des emprunts est également un facteur qui joue sur l’élasticité car les         taux courts fluctuent beaucoup plus que les taux  longs. Dans la mesure où les taux longs concernent plutôt les investissements de capacité on peut donc s’attendre à une faible sensibilité de l’investissement par rapport aux taux. Précisons qu’en valeurs absolues  les variations des flux d’investissement            ( FBCF )  sont importantes par rapport  aux autres variables macroéconomiques  pour bien d’autres raisons.

Le nombre    de  projets d’investissement   à un moment donné constitue une autre variable. Toutes choses égales par ailleurs et  pour un même flux d’investissement qui en découlerait, l’élasticité de l’investissement sera plus forte lorsque les projets potentiels sont plus nombreux car, la probabilité d’avoir des projets comportant  des  frais financiers dont la part relative est plus importante, augmentent.

A notre sens, une des causes essentielles de la faiblesse de l’élasticité est le comportement d’OTM ( Objectif de Taux de Marge ) appliqué aux  investissements de production par  les entrepreneurs et indirectement par les banques. Le processus est simple  :  lorsque l’OTM est élevé,    la part relative des charges anticipées dues aux taux d’intérêt est d’autant plus faible. Or il se trouve que les OTM sont élevés lorsque la « conjoncture » de l’incertitude est pesante ; dans la réalité ceci se traduit par une marge d’erreur importante sur la variable  Quantité  et  sur celle des Prix. Les chiffres d’affaires  anticipés par les entrepreneurs au moment de la décision d’investir sont donc entachés d’une marge d’erreur non négligeable. La préoccupation  de l’entrepreneur se focalise alors  plus vers  ces variables dont il essaiera de réduire la marge d’erreur que vers les variables de coûts réputés plus stables ( salaires, frais d’études, charges financières,…). Inversement l’élasticité de l’investissement   par rapport au taux d’intérêt  est plus importante  lorsque l’OTM est plus faible,  ce qui correspond à une conjoncture  de confiance où « l’on sait où   on va ». Notons que l’incertitude  se manifeste essentiellement aux moments des changements de phase des cycles  aussi bien  en période de revenu élevé qu’en période de croissance molle. Les situations financières qui exigent  des plans de désendettement en période de récession  jouent  également dans le sens d’un OTM élevé. Il semblerait que notre hypothèse soit vérifiée dans la réalité. Comme le souligne Agnès Bénassy-Quéré, Laurence Boone et Virgine Coudert, «   …. une étude sur le secteur manufacturier américain  montre que l’élasticité de l’investissement au coût du capital est cinq fois plus élevée lorsque l’économie est en période d’expansion que lorsqu’elle sort d’une récession ( Caballerro, 1997) . Le problème est que la réussite d’une  politique économique   doit  justement  nécessité  une  sensibilité de l’investissement en période de récession !   ( Voir également  «  Les patrons sont-ils des mous ? Question posée à J.-M. Keynes ).

Bernard Biedermann

Conjoncture et décisions

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